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Le président Joseph Kabila s'adresse à la nation au Palais du Peuple à Kinshasa, capitale de la RD Congo, le 5 avril 2017

Des actions fortes sont nécessaires pour sauver l'accord de la Saint-Sylvestre en RD Congo

L’année 2017 sera cruciale pour la République démocratique du Congo. Après beaucoup d'effusion de sang et deux années de répression brutale – avant et après l’échéance du 19 décembre 2016, qui a marqué la fin du deuxième et dernier mandat autorisé par la constitution du président Joseph Kabila – les participants aux pourparlers organisés sous la médiation de l'Église catholique ont conclu un accord le 31 décembre 2016. Celui-ci contient des dispositions claires selon lesquelles une élection présidentielle se tiendra avant la fin de 2017, le président Joseph Kabila ne briguera pas un troisième mandat et il n'y aura ni référendum ni modification de la constitution. L'accord peut s'avérer un grand pas vers la première transition démocratique de la RD Congo depuis son indépendance, mais le chemin est encore long pour y parvenir.

L’équipe RD Congo de Human Rights Watch fera usage de ce blog pour fournir des mises à jour en temps réel, des rapports de terrain, ainsi que d’autres analyses et commentaires pour aider à informer le public sur la crise actuelle et pour exhorter les décideurs politiques à rester engagés pour empêcher une escalade de la violence et des violations des droits humains en RD Congo – avec de possibles répercussions dans toute la région.

La perspective d'élections démocratiques d'ici la fin de l'année en République démocratique du Congo semble s’éloigner de plus en plus, alors que les termes d'un accord posant les bases d'un vote sont largement ignorés.

Non seulement la coalition au pouvoir en RD Congo défie certains principes clés de l'accord de la Saint-Sylvestre, mais les forces gouvernementales exercent une répression politique effrénée et commettent des violations à grande échelle des droits humains. Le manque de mise en œuvre de l’accord commence à ressembler à une manœuvre dilatoire de plus pour maintenir le président Joseph Kabila au pouvoir. Des actions fortes, y compris de nouvelles sanctions ciblées, sont nécessaires de toute urgence afin de renouveler la pression et de tenter de remettre l’accord sur la bonne voie.

Ce type de pression a fonctionné en RD Congo par le passé. Les partenaires internationaux du pays – notamment les États-Unis, l'Union européenne et les leaders régionaux – ont fait pression sur Kabila et son gouvernement dans les mois précédant le 19 décembre 2016, marquant la fin de son deuxième et dernier mandat autorisé par la constitution. Cela avait entraîné des concessions importantes et l'aval de Kabila à l’accord conclu grâce à la médiation de l’Église catholique, qui stipule qu'il ne tentera pas de modifier la constitution ni de briguer un nouveau mandat, et que les élections auront lieu avant fin décembre 2017.

Mais la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) s’est retirée de son rôle de médiatrice fin mars, en raison de l’impasse dans laquelle se trouvait la mise en œuvre de l’accord. Peu après, Kabila a refusé de permettre à la coalition d’opposition du Rassemblement de choisir le Premier ministre intérimaire, en apparente violation de l’accord de la Saint-Sylvestre. Au lieu de cela, le 7 avril, il a nommé Bruno Tshibala, un ancien leader de l’opposition qui avait été exclu du principal parti d’opposition, l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).

L’Union européenne, la Belgique et la France ont toutes soulevé des préoccupations au sujet de sa nomination et ont appelé à la pleine mise en œuvre de l'accord de décembre. Le 21 avril, les évêques catholiques de RD Congo ont qualifié sa désignation d’« entorse » à l’accord pour lequel ils avaient servi de médiateurs.

Le dénommé « arrangement particulier », une annexe à l’accord de la Saint-Sylvestre exposant la façon dont cet accord sera mis en œuvre, a été finalement signé le 27 avril – mais seulement par la coalition au pouvoir et par quelques éléments de l’opposition modérée. La coalition du Rassemblement a refusé de le signer, dénonçant ce qu’elle a qualifié de « mascarade ». De nombreuses ambassades de même que l’Église catholique n’ont pas assisté à la cérémonie de signature.

Les « mesures de décrispation » mentionnées dans l’accord ont à peine été traitées. Des dizaines de prisonniers politiques demeurent en détention, au moins cinq médias proches de l'opposition restent fermés, et le signal de Radio France Internationale (RFI) est bloqué à Kinshasa depuis six mois.

Un rapport confidentiel de la CENCO sur deux des « cas emblématiques » traités par la commission du dialogue sur les mesures de décrispation, qui a fuité dans la presse la semaine dernière et consulté par Human Rights Watch, a conclu que les procès contre les leaders d’opposition Moïse Katumbi et Jean-Claude Muyambo reposaient sur des motifs politiques, étaient entachés d’irrégularités et n’étaient « rien d’autre que des mascarades ». Le rapport, qui a été communiqué confidentiellement à Kabila le 29 mars, appelle à la libération immédiate de Muyambo, qui avait été arrêté pendant les manifestations nationales en janvier 2015 et condamné le 12 avril 2017 à cinq ans de prison. Il appelle également au retrait du mandat d’arrêt et à l’abandon des poursuites contre Katumbi, qui vit en exil depuis mai 2016, ainsi qu’à la libération des associés de Katumbi qui avaient été arrêtés.

Au cours des manifestations politiques qui ont eu lieu à travers le pays au mois de décembre, les forces de sécurité ont tué plus de 60 personnes et ont emprisonné des centaines de dirigeants et de partisans de l’opposition, d’activistes pro-démocratie et de manifestants pacifiques. Des officiers supérieurs des services de renseignement et des forces de sécurité responsables de la répression en décembre, et au cours des deux années et demi passées, occupent toujours des postes supérieurs, et aucun effort n’a été fait pour s’assurer qu’ils rendent des comptes.

Plus récemment, le 10 avril, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes et arrêté plus de 80 personnes pour disperser ou empêcher de petites manifestations en RD Congo. Trente-trois activistes du mouvement citoyen LUCHA (Lutte pour le Changement) ainsi que deux autres personnes ont été arrêtés le 12 avril au cours d’un sit-in pacifique devant la Banque centrale à Goma. Ils protestaient contre le fait que des milliers de personnes qui avaient placé leurs épargnes auprès de prêteurs de microcrédit supervisés par la Banque centrale avaient ensuite été dans l’incapacité de les recouvrer. Les activistes voulaient dénoncer « l’incompétence » et la « complaisance » de la Banque centrale dans ce processus. Ils ont été relâchés plus tard le même jour. La police a également agressé plusieurs journalistes couvrant le sit-in. Le 19 avril, les forces de sécurité ont de nouveau arrêté 17 activistes de la LUCHA, dont trois jeunes femmes, au cours d’une manifestation similaire à Goma. Ils ont été relâchés le 22 avril, sans inculpation.

À Kinshasa, 24 activistes des mouvements LUCHA et « Il est temps » ont été arrêtés le 27 avril, alors qu’ils protestaient contre l’insalubrité dans la capitale. Des policiers ont pris les t-shirts des activistes et ont arraché d'autres symboles de leurs mouvements, laissant deux femmes à moitié nues. Ils ont été détenus dans un camp de la police et libérés plus tard, après que le gouverneur de Kinshasa soit intervenu. Treize activistes de LUCHA et de « Il est temps » ont été arrêtés le 5 mai devant l’Hôtel du gouvernement à Kinshasa, où ils s’étaient rendus pour remettre un document réclamant davantage d’emplois pour les jeunes. Ils ont été relâchés plus tard le même soir.

À Lubumbashi le 6 mai, les forces de sécurité ont dispersé des personnes qui s’étaient rassemblées au centre ville pour une réunion de la coalition d’opposition Rassemblement, arrêtant plusieurs partisans du Rassemblement.

Les autorités congolaises ont un long chemin à parcourir pour « assurer un environnement propice à la conduite de ce processus électoral », tel que demandé par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans une déclaration du 4 mai, le Conseil a exhorté le gouvernement de la RD Congo et toutes les autres parties concernées à « créer les conditions nécessaires pour que le processus électoral soit libre, […] qu’il s’accompagne d’un débat politique libre et constructif, et que soient assurés la liberté d’opinion et d’expression, y compris pour la presse, la liberté de réunion, un accès équitable aux médias, y compris aux médias d’État, la sécurité de toutes les acteurs politiques et la liberté de circulation de tous les candidats, ainsi que des observateurs et témoins, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des acteurs de la société civile, notamment des femmes. »

Entretemps, il n'y a toujours pas de calendrier électoral, et l’enrôlement des électeurs a été entravé par l'insécurité et les défis logistiques. Le 1er mai, la commission électorale a annoncé que l’enrôlement dans les provinces du Kasaï et du Kasaï Central avait été reporté sine die. Cette région du centre de la RD Congo – un bastion de l’opposition – s’est retrouvée en proie aux violences entre forces gouvernementales et milices locales et aux attaques ciblées contre des civils ces derniers mois, avec plus de 400 personnes tuées et 1, 27 million de personnes déplacées de leurs foyers, y compris plus de 100,000 nouveaux déplacés internes uniquement pour la semaine dernière. Plus de 40 fosses communes ont été documentées, et deux experts de l’ONU ont été assassinés en mars.

Il existe de graves préoccupations concernant une répression gouvernementale accrue à travers le pays. L’UDPS a annoncé que le corps d’Étienne Tshisekedi, le leader d’opposition de longue date en RD Congo décédé en Belgique le 1er février, serait rapatrié en RD Congo le 12 mai. Alors que la date pourrait être reportée à nouveau, le retour du corps de Tshisekedi pourrait être un point critique pour les violences entre les partisans de l'opposition mobilisés et les forces de sécurité gouvernementales.

Les États-Unis, l’Union européenne et le Conseil de sécurité devraient imposer de nouvelles sanctions ciblées à l’encontre des principales autorités de RD Congo les plus responsables des graves violations des droits humains et des tentatives de retarder ou d’entraver les élections. Une nouvelle série de sanctions ciblées par les États-Unis adresserait un message clair selon lequel la pression sur le gouvernement Kabila continuera sous la nouvelle administration Trump. Le 6 mars les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont chargé la Haute représentante Federica Mogherini d’entamer le processus menant à de nouvelles sanctions ciblées, et ils devraient désormais passer à l’adoption de ces sanctions lors du prochain Conseil des Affaires étrangères le 15 mai.

Ces mesures devraient être accompagnées d'une forte campagne de messages publics et privés de la part des partenaires internationaux et régionaux de la RD Congo, indiquant qu'il y aura des conséquences graves dans leurs relations avec la RD Congo si des élections crédibles ne sont pas organisées d'ici la fin de l'année.

Les partenaires internationaux ainsi que les dirigeants politiques et religieux congolais devraient appeler plus fermement les autorités à libérer les prisonniers politiques, abandonner les accusations basées sur des motifs politiques contre des activistes et des dirigeants politiques en exil, rouvrir les médias interdits, lever les interdictions de manifestations politiques pacifiques, et permettre aux jeunes activistes et à tous les Congolais d’exprimer librement leurs points de vue sans crainte d'arrestation ou de mauvais traitements. Ils devraient également faire en sorte de garantir que le Conseil national de suivi de l'accord (CNSA), conçu pour surveiller la mise en œuvre de l'accord de la Saint-Sylvestre et l'organisation des élections, soit établi rapidement. Ce Conseil devrait pouvoir agir de manière indépendante et avec un mandat fort pour soutenir l'organisation d'élections crédibles, transparentes et pacifiques avant la fin de l'année.

Des mesures vigoureuses et un engagement de haut niveau sont nécessaires maintenant, tant qu'il y a encore un espoir de mettre la RD Congo sur la voie d'élections crédibles et transparentes, et avant que le pays ne sombre dans davantage de violence et de violations des droits humains. 

 

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