Skip to main content
Dr. Muyembe, Felix Tshisekedi Tshilombo, Gentiny Ngobila

En RDC, les débuts chaotiques de la riposte contre le coronavirus

Les autorités ont multiplié les erreurs de communication tandis que, sur le terrain, les équipes se heurtent à l’insuffisance de moyens et de préparation. par Par Juliette Dubois, Le Monde

La panique s’empare des rues de Kinshasa. Dans les supermarchés de la capitale congolaise, vendredi 27 mars, on assiste aux mêmes scènes qu’en Europe : des queues de plusieurs centaines de mètres et des chariots remplis de packs d’eau. Les Kinois des quartiers populaires se pressent, eux, pour acheter de gros sacs de farine de manioc. La veille au soir, pour contenir les risques de propagation de l’épidémie due au coronavirus, le gouverneur de la ville Gentiny Ngobila annonçait pour les trois semaines à venir un confinement intermittent : quatre jours sans sortir alternés avec deux jours sans restriction de mouvement.

 

 

La décision affole la population car, pour beaucoup, sans sortie, pas de travail, et sans travail, pas de revenus. Avec, au bout du compte, le risque de mourir de faim plutôt que du Covid-19. Le mouvement citoyen La Lucha dénonce d’ailleurs un risque de « catastrophe humanitaire » et d’émeutes. Dans la soirée, une communication du cabinet du premier ministre rectifie le tir : le confinement est annulé et reporté à une date ultérieure. Les habitants de la capitale se retrouvent, à nouveau, déboussolés et en colère. « Cette situation est tout simplement insupportable. Ne jouons pas avec la vie de notre peuple », s’insurge le cardinal Ambongo, en commentant ce couac, le plus emblématique d’une série de dysfonctionnements dans la riposte congolaise au Covid-19.

Cafouillages

Les cafouillages ont commencé dès le début de la crise sanitaire. Un premier cas de contamination est détecté le 10 mars en République démocratique du Congo (RDC). Le ministre de la santé affirme qu’il s’agit d’un sujet belge. Quelques heures plus tard, en conférence de presse, il annonce que le malade est en réalité un homme congolais résidant habituellement en France.

Pendant plus de deux semaines, le virus reste cantonné au centre-ville aisé de Kinshasa. La plus grande crainte des autorités est alors qu’il se répande dans les quartiers pauvres et dans les autres régions. Las, le professeur Jean-Jacques Muyembe, chargé de la riposte, annonce jeudi qu’un premier cas a été détecté dans le Nord-Kivu. Le gouverneur de la province, Carly Nzanzu Kasivita dément, assurant que le malade se trouve dans la province voisine de l’Ituri. Une information confirmée dans la foulée par les équipes du docteur Muyembe.

Pour le docteur Dirk Shaka, militant au sein de La Lucha, la communication a été défaillante avant même l’arrivée du virus. Le docteur Aron Aruna, directeur de la surveillance épidémiologique, avait alors indiqué qu’un bâtiment était prêt à accueillir les malades en quarantaine à Kinkole, en banlieue de Kinshasa. En réalité, aucun cas n’y sera placé. « C’est irresponsable face à une telle pandémie d’annoncer qu’on a une structure adaptée alors qu’elle n’a pas du tout été aménagée pour ça », s’insurge le docteur Shaka.

Les conséquences sur la population sont désastreuses. « Tous ces problèmes de communication ont créé une vraie défiance vis-à-vis des autorités et une méconnaissance du coronavirus. Cela va même jusqu’au déni », explique Olivier Kana, un médecin humanitaire. Sur les marchés, où il va faire de la sensibilisation avec les membres de son association Gardiens de vie, les Kinois les interpellent et moquent leurs masques : « Awa virus eza te ! », « Ici, il n’y a pas le virus ! ». Parmi les croyances les plus tenaces : le virus ne toucherait que les Blancs et le gouvernement mentirait pour pouvoir débloquer des fonds.

Afin de faire connaître les mesures d’hygiène, Olivier distribue des brochures de conseils en lingala, la langue parlée à Kinshasa. « Le gouvernement a très vite imprimé des affiches, ce qui est une bonne chose, mais elles sont en français et beaucoup de gens ici ne le comprennent pas bien », explique Zola Sheke, qui dirige le marché de la liberté dans le quartier de Tshangu. Olivier Kana plaide pour plus de sensibilisation au niveau communautaire, et pour être accompagné par le gouvernement.

« Enorme défi »

Mais cela s’annonce compliqué. Sur le terrain, les équipes de la riposte se heurtent déjà au manque de moyens et de préparation. En théorie, trois numéros verts ont été mis en place pour informer la population la semaine dernière. Mais toutes nos tentatives d’appel ont échoué ces derniers jours. Il faut donc connaître le numéro des médecins chargés de la riposte pour espérer faire venir une équipe chez soi. Dans un petit bureau du bâtiment de la Direction de la surveillance épidémiologique (DSE), dans le centre de Kinshasa, plusieurs personnes répondent aux appels des Congolais inquiets de ressentir des symptômes. Les coordonnées sont notées sur des feuilles volantes sur un coin de table. Les équipes sont ensuite réparties par quartiers pour poursuivre les recherches. Mais il faut s’armer de patience. Le ministère de la santé ne dispose pas d’un nombre suffisant de véhicules, et plusieurs heures s’écoulent avant qu’une Jeep soit disponible. Les adresses sont souvent approximatives et les équipes peuvent tourner un long moment avant de trouver la bonne maison.

Le docteur Muyembe, chargé par le président Félix Tshisekedi de coordonner la lutte, reconnaît lui-même que sa mission est difficile : « C’est un énorme défi, et nous ne sommes pas préparés. On n’a pas la logistique, on manque de moyens à tous les niveaux. »

Un constat largement partagé dans la sphère politique. « Comme dans beaucoup de pays, on a cru que le virus n’allait pas sortir d’Asie et on n’a pas anticipé. Maintenant il faut se rattraper, avec une meilleure coordination entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux, et un confinement mieux préparé », confie le député Juvénal Munubo, du parti Union pour la nation congolaise (UNC), membre de la coalition présidentielle. A la présidence, on ne nie pas les dysfonctionnements tout en rappelant, à nouveau, que la pandémie a surpris partout dans le monde.

Pour rassurer les Congolais, le professeur Muyembe a promis une meilleure communication avec des bulletins quotidiens du comité multisectoriel de riposte sur les nouveaux cas et sur les personnes guéries.

Categories

Add new comment

Filtered HTML

  • Web page addresses and email addresses turn into links automatically.
  • Allowed HTML tags: <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd>
  • Lines and paragraphs break automatically.