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Mike Hammer, Ambassadeur Americaon en RDC

En RDC, le pari risqué de la diplomatie américaine

Aller à l’encontre de la démocratie dans l’espoir affiché de la renforcer, telle est l’expérimentation menée depuis deux ans par la diplomatie américaine en République démocratique du Congo (RDC). Dans le plus vaste pays du continent, Etat stratégique aux neuf frontières et au sous-sol regorgeant de minerais, les Messieurs Afrique du département d’Etat s’efforcent de légitimer et de renforcer le président Félix Tshisekedi, présenté comme leur nouveau meilleur allié.

Alors que tous les dirigeants de la région ont porté l’uniforme de militaire ou de rebelle, ce président-là est un civil et le fils de l’opposant historique à Mobutu Sese Seko puis aux Kabila père et fils. Il est arrivé au pouvoir en janvier 2019 à l’issue d’un accord confidentiel signé avec son prédécesseur, Joseph Kabila, et d’un processus électoral manipulé mais pacifique.

Washington a fini par accepter les résultats contestés. Satisfaite de ce semblant d’alternance politique, une première dans l’histoire de la RDC, la diplomatie américaine fait le pari risqué de consolider cette fragile proto-démocratie au détriment de ce que d’autres diplomates occidentaux, l’église catholique et les opposants congolais appellent la « vérité des urnes ».

« Le changement, c’est Tshisekedi. Notre stratégie consiste à supporter une nouvelle vision qui promeut la lutte contre l’impunité, contre la corruption et valorise la démocratie et les droits de l’homme », explique l’ambassadeur des Etats-Unis en RDC, Mike Hammer.

« Déboulonner » le système Kabila

Avide de tweets et de selfies, le diplomate occupe les territoires numériques sur lesquels il se met en scène comme « Nzita », l’un des ses prénoms congolais, n’hésitant pas à se réjouir de la suspension ou du remplacement de hauts responsables militaires proches de Kabila. « Tu as oublié tout ce qu’a fait Oncle Sam pour la RDC », prend-il le temps d’écrire sur WhatsApp à un proche conseiller de l’ancien chef de l’Etat qui l’a critiqué sur Twitter.

A l’écart des réseaux sociaux, Mike Hammer est devenu l’un des plus proches interlocuteurs du président Tshisekedi. Plusieurs fois par semaine, l’Américain échange avec le chef de l’Etat sur les tensions croissantes au sein de la coalition, mais aussi sur des questions de diplomatie régionale, de lutte contre les groupes armés à l’est du pays et sur les dossiers sensibles de corruption.

Les présidents des deux chambres du Parlement l’ont accusé, sans le nommer, d’« ingérence » lors de leur discours de rentrée. Au sein de la communauté diplomatique de Kinshasa, son activisme divise : certains déplorent « un comportement inapproprié », tandis que d’autres apprécient « une ligne claire et assumée ». Lui n’en a cure et s’amuse des polémiques.

Entre idéalisme et realpolitik, son objectif est assez clair : inciter Tshisekedi à « déboulonner » le système Kabila et ainsi contribuer à démanteler progressivement ses réseaux clientélistes au sein des cénacles politiques, des services de sécurité et dans les milieux économiques. Mais Kabila n’est pas vraiment parti et prouve même sa capacité à résister aux pressions américaines malgré les menaces et les sanctions visant ses proches.

Confrontation pour la gestion du pouvoir ?

Si son influence a pu diminuer, l’ancien « raïs » garde le contrôle sur le Parlement, des ministères clés et une partie de l’appareil sécuritaire. Sa relation avec Félix Tshisekedi ne cesse de se dégrader au risque de donner lieu à une véritable confrontation pour la gestion du pouvoir, avec à l’horizon l’élection présidentielle de 2023.

La bataille pour le contrôle des institutions électorales a déjà démarré. En attendant, la coalition est paralysée, ce qui empêche la mise en œuvre de toute nouvelle réforme à l’exception de la gratuité de l’école.

« On sait que c’est difficile mais, avec Tshisekedi, il y a une opportunité unique d’obtenir des avancées pour la RDC et pour les intérêts américains », veut croire Mike Hammer, bien conscient des faiblesses de son allié et de l’incompétence de la plupart de ses conseillers et de ses ministres. La lutte contre la grande corruption, promise durant la campagne et vivement encouragée par Washington dans l’espoir de fragiliser l’ancien président, n’avance pas vraiment.

Depuis la condamnation en juin du directeur de cabinet du président Tshisekedi à vingt ans de prison pour corruption et détournements de fonds, aucun dossier emblématique n’a abouti. « Le président a des lignes rouges à ne pas franchir et il le sait », précise l’un de ses conseillers. Des poursuites judiciaires ne peuvent pas être envisagées contre Kabila et son entourage, précise l’accord signé par Tshisekedi avant de prendre le pouvoir, selon plusieurs sources ayant pu consulter ce document secret.

Washington, le « partenaire idéal »

Dans un tel contexte de tensions politiques conjuguées à une crise économique globale, les investisseurs rechignent à venir. Plus aucun opérateur économique américain n’est présent dans le secteur minier dominé par les Chinois. La rivalité avec la Chine est l’une des raisons de l’activisme des Etats-Unis en RDC où les intérêts sont plus idéologiques et politiques qu’économiques.

Le président Tshisekedi considère Washington comme le « partenaire idéal ». Joseph Kabila, lui, avait privilégié Pékin à qui il a ouvert une partie du coffre-fort minier en l’échange d’infrastructures et de financements opaques. Aujourd’hui encore, 90 % du cobalt et du cuivre congolais est exporté vers la Chine qui entretient en RDC et dans la région des Grands Lacs, comme ailleurs en Afrique, une influence économique mais aussi diplomatique à travers différents postes stratégiques aux Nations unies.

Ce que Washington perçoit comme une menace. « Les Etats-Unis sont attractifs et nous sommes perçus par les Congolais comme un bien meilleur modèle. La Chine exploite les ressources naturelles, en tire un profit considérable et ne développe rien pour la population », insiste l’ambassadeur Hammer.

A défaut de pouvoir rivaliser avec Pékin sur le plan économique, les Etats-Unis développent une stratégie sécuritaire. Parfois, les deux sont liés, de leur point de vue, notamment en matière de lutte contre les réseaux financiers du Hezbollah qui tirent profit des faiblesses des autorités de contrôle congolaises et de banques peu regardantes.

En attendant les prochaines élections

D’importants hommes d’affaires libanais prospères et bien établis à Kinshasa ont été visés par des sanctions du département du Trésor américain. Certains ont vu leurs avoirs gelés ces dernières années, d’autres ont été arrêtés.

A plusieurs milliers de kilomètres à l’est, dans la région de Beni, au Nord-Kivu, le chef des Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé islamiste d’origine ougandaise, et certains de ses lieutenants ont également été visés par des sanctions américaines. Une mesure plutôt symbolique : ces rebelles responsables de massacres de civils depuis fin 2014, qui ont fait allégeance à l’organisation Etat islamique trois ans plus tard, évoluent dans la forêt. Une manière pour Washington d’apporter son soutien à la RDC dans sa « lutte contre le terrorisme », souvent amplifiée pour séduire les partenaires occidentaux.

Malgré les promesses du président Tshisekedi, les provinces orientales de la RDC échappent toujours au contrôle de l’Etat, ravagées par les violences entretenues par une centaine de groupes armés congolais et originaires de pays voisins (Burundi, Rwanda, Ouganda, Soudan du Sud). « L’armée congolaise est réputée pour la corruption, les violations de droits de l’homme et ses liens avec des groupes armés. Mais nous constatons certains progrès », constate l’ambassadeur Hammer.

Les Etats-Unis, qui s’appuient notamment sur la Mission des Nations unies en RDC (Monusco), reprennent progressivement une coopération bilatérale avec l’armée congolaise, à travers la formation de soldats, la fourniture de renseignements, d’équipements et de casernes. Tout en soutenant l’effort diplomatique du président Tshisekedi qui se pose en facilitateur d’un dialogue avec ses homologues de la région des Grands Lacs en vue d’harmoniser les politiques sécuritaires et apaiser les tensions.

Certains d’entre eux, tels que l’Ougandais Yoweri Museveni et le Rwandais Paul Kagame, ont bénéficié dans les années 1990 de la bienveillance de Washington qui voyait alors en ces anciens rebelles de potentiels nouveaux leaders africains. C’était avant qu’ils se muent en présidents autoritaires accrochés au pouvoir. Près de vingt ans plus tard, la diplomatie américaine a un temps cru trouver en Tshisekedi une personnalité capable d’incarner un nouveau leadership régional.

« Les Etats-Unis ont aidé à faire accepter Tshisekedi, ce qui est assez unique, analyse Jason Stearns, directeur du centre d’étude sur le Congo de l’université de New York. Le changement au sommet de l’Etat, l’implantation d’une autre élite, n’est pas un succès en soi. Pour l’instant, Tshisekedi enregistre peu de réussites et les Etats-Unis doivent endosser ses erreurs. »

Tout comme d’autres diplomates américains et européens en RDC, M. Hammer ne considère plus vraiment Tshisekedi comme un réformateur, mais plutôt comme un président de transition. En attendant les prochaines élections.

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