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Pierre Englebert - Bilan du règne de Kabila

L’état de désolation au Congo (1ere Partie), par Pierre Englebert, Conseil Atlantique, Afrique Centrale

 Il y a dix ans, en 2006, la République démocratique du Congo (RDC ou Congo) semblait prête à se libérer d’une histoire cauchemardesque : la colonisation impitoyable, le chaos postindépendance, trente-deux ans de la dictature erratique sous le président Mobutu Sese Seko, et plus d’une décennie de guerre sauvage. Une transition démocratique de trois ans sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies et les donateurs occidentaux, se terminait. Une nouvelle constitution démocratique, adoptée par référendum, avait été conçue pour promouvoir la transparence, la responsabilité et la bonne gouvernance. La société civile était en plein essor. Et le Congo avait vu ses premières élections libres et justes pour la Présidence, le Parlement et les Assemblées provinciales. Ce fut un moment d’optimisme.

Dix ans plus tard, on a de la peine de trouver beaucoup d’espoir ou tout optimisme restant. Le président du Congo, Joseph Kabila, a transformé le gouvernement démocratiquement élu dans un régime de plus en plus autoritaire et répressif et il a apparemment l’intention de rester au pouvoir au-delà des limites fixées par sa propre constitution. Le Parlement est un peu plus qu’un tampon en caoutchouc, et les assemblées provinciales sont largement dysfonctionnelles. Les activistes de la Société Civile sont régulièrement réprimées, et de nombreux partis d’opposition sont cooptés ou intimidés. Et le gouvernement se soustrait, presque systématiquement, aux exigences de la transparence et de responsabilité de ses propres lois.

Bien que Kabila soit au pouvoir depuis quinze ans, il a désastreusement accompli peu pour améliorer le sort des citoyens du Congo. Au mieux, sa mandature aura été caractérisée par la négligence volontaire, et au pire, par une manipulation adverse et sanglante du système politique du pays. Maintenant, qu’il est inéligible  pour un autre mandat en tant que président, Kabila tente d’employer les points de procédures administratives pour retarder l’élection prévue de son successeur en Novembre 2016. Ces manœuvres sont dangereuses et jettent les bases de nouveaux troubles civils,  dirigés par des opposants politiques frustrés — au prix potentiellement catastrophique[1].

A travers l’Afrique, les dirigeants sont entrain de bricoler avec les limites de mandat. Un certain nombre d’entre eux, y compris Paul Kagame du Rwanda et Pierre Nkurunziza du Burundi, ont fait valoir que c’est la volonté des électeurs qu’ils restent [au pouvoir], car ils sont les seuls capables d’assurer la paix et la stabilité continue dans leur pays. Quel que soit le bien-fondé de ces revendications, une telle défense ne peut pas être appliquée avec crédibilité à Joseph Kabila. Ce document fournit un bilan sur le mandat de Kabila et met en évidence le leadership inepte de son régime, la corruption massive et les recours fréquents à la violence, quand il fait  face à la critique.

Aperçu General

Le record sur la gouvernance du régime Kabila est catastrophique, même par rapport à normes assez basses de l’Afrique subsaharienne. Dans l’Indice 2015 de Mo Ibrahim sur la gouvernance africaine, le Congo a été classé quarante-huit sur cinquante-quatre pays, au-dessous de telles catastrophes que le Zimbabwe, et devant seulement les pires cas de défaillance de l’État, comme la Somalie ou le Soudan du Sud. Son score de 33,9 /100 a à peine bougé depuis 2007[2]. Son Index sur les Perceptions de la Corruption en 2015  de Transparency International était 22/100, faisant gagner le Congo la 147e position sur 167 pays[3]. Et la Banque mondiale avait classé le Congo 184e sur 189 économies dans son index sur la « Facilité 2016 de faire des affaires[4]. »

La corruption est si répandue qu’elle définit la gouvernance plus qu’elle n’est affectée par elle [gouvernance]. Selon une enquête de 2013 sur les entreprises, les entreprises congolaises qui avaient été demandées ou tenues de payer un pot de vin pour solliciter les services publics, les permis ou les licences, environ 44 pour cent du temps. Pour l’Afrique subsaharienne dans son ensemble, la proportion était de 20 pour cent. En outre, environ 54 pour cent des entreprises congolaises s’attendent à donner des cadeaux à des réunions avec les inspecteurs des impôts (18 pour cent pour le reste de l’Afrique), et environ 52 pour cent à des réunions avec les représentants du gouvernement pour obtenir des contrats (30 pour cent pour le reste de l’Afrique)[5]. Pire, la gouvernance congolaise ne montre pas, en général,  aucune amélioration au fil du temps. Par conséquent, l’efficacité du gouvernement et de l’État de droit ont stagné sous Kabila.
 

La mauvaise gouvernance équivaut un prix élevé. Malgré une décennie de croissance — macro-économique sans précédent au cours de laquelle le produit intérieur brut (PIB) du Congo avait accru à un taux annuel moyen de 6,6 pour cent[6]-  l’assistance publique n’a pas été améliorée, comme l’inégalité des revenus a augmenté d’un coefficient de Gini de 0,42 en 2005 à 0,45 en 2012[7]. Le citoyen congolais moyen reste pathétiquement pauvre, avec un revenu par habitant de seulement $ 380 /an. Plus de 80 pour cent des Congolais restent en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 $/jour, et le gouvernement n’a pas respecté l’un des Objectifs de Développement du Millénaire en 2015. L’espérance de vie est de cinquante-huit ans. Dans les régions rurales du Sud-Kivu, le temps typique de voyage à une source d’eau est compris entre vingt-six et cinquante-deux minutes, selon les sondages, et 86 pour cent des résidents encore obtiennent leur eau d’un robinet public ou d’une source naturelle. Sans surprise, les gens font confiance aux chefs de village beaucoup plus que les fonctionnaires de l’Etat local ou national. Sur une échelle de zéro à cinq [0 — 5], dans les régions rurales du Sud-Kivu, la réponse moyenne [a la question], est-ce que le gouvernement provincial ou national, ou le président acte dans l’intérêt des répondants, la réponse était un [entendez 1 sur 5,  ou 20%][8].

Pour être sûr, il y a eu des améliorations en matière de gouvernance. La transparence budgétaire, telle que mesurée par l’indice de transparence de l’Open Budget Survey, par exemple, est passée d’un score de 1 pour cent en 2008 à 39 pour cent en 2015[9], Le pays a été certifié conforme par l’Initiative pour la transparence des industries extractives en 2013. Les marchés publics sont plus régulièrement publiés qu’auparavant, et les paiements aux fonctionnaires sont traités plus ouvertement par le secteur bancaire. Pourtant, la plupart des améliorations ne dépassent pas le seuil de qualité et restent dans la gamme de la défaillance de la gouvernance.

 

Comme le montrera ce rapport, la plupart des pratiques budgétaires restent médiocres, et les industries extractives sont très opaques. Certains contrats miniers (probablement  les plus compromettants) ne sont toujours pas publiés. Aussi récemment que la fin de 2015, une enquête du ministère du Budget a révélé que 14,8 millions $ de la masse salariale pour les fonctionnaires dans les secteurs de la santé et de l’éducation de cinq provinces avaient disparu avant d’atteindre les bénéficiaires désignés[10]. En dépit de cela, les agents en charge de payer le salaire, qui ont utilisé des noms fictifs et ceux des individus décédés pour s’en approprier, ne sont pas poursuivis.

Qu’est-ce qui ne va pas ? Dans une large mesure, la politique dysfonctionnelle du Congo a prouvé être à l’abri de la réforme, et le régime de Kabila a prouvé le plus être le successeur de Mobutu que le pionnier d’une nouvelle ère. Alors que le Congo a une constitution  démocratique  bien écrite, et de nombreuses décentes lois écrites, les pratiques de la gouvernance actuelle ont sapé les exigences légales et constitutionnelles en matière de transparence et de responsabilité, niant les aspirations des citoyens congolais. Malgré tous les efforts des réformateurs de la société civile et des bailleurs de fonds, le Congo de Kabila a, en gros, régressé au Zaïre (comme le Congo a été appelé 1971-1997 sous Mobutu)[11] . En outre, un leadership faible et sans inspiration de Kabila a produit ses propres problèmes. L’inefficacité prévaut, en grande partie comme le résultat de la confusion (intentionnelle ou non), l’indécision, une profusion a des « dialogues » improductifs, « un leadership absent, et l’utilisation d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’autres acteurs du secteur privé dans la prestation des services publics. Le vol et le favoritisme sont les modes dominants de la gestion économique et politique, et le régime a été de plus en plus disposé à recourir à la répression et à la violence pour rester au pouvoir.

Gouvernance par Confusion

Une des premières dimensions de la gouvernance congolaise qui frappe un observateur est combien il est difficile de discerner la loi et les politiques du pays. Certaines politiques sont sans cesse discutées, mais jamais adoptées. Certaines  [politiques] sont annoncées,  mais pas, ou seulement partiellement, mis en œuvre. Certains sont transformés en lois, d’autres dans les décrets présidentiels, d’autres encore résultent d’accord avec les donateurs. De nombreux projets de loi siègent dans les commissions pendant des années, et de nombreuses lois attendent aussi longtemps pour promulgation présidentielle. Lorsque promulguée, c’est ne pas hors commun que ces lois contredisent les précédentes ou en conflit avec les décrets provinciaux, et ces contradictions restent sans réponse, comme un système judiciaire faiblesse ne parvient pas à clarifier les paramètres et les juridictions.

Sans doute une partie de cette confusion provient de la faiblesse générale de l’Etat, et son incapacité à bien concevoir et mettre en œuvre des politiques (en raison, en partie, à l’insuffisance des ressources face à des larges et complexes exigences de la gouvernance)[12]. Mais, il est difficile pour un fréquent observateur de la politique congolaise de ne pas voir aussi un élément intentionnel en elle. C’est avantageux a un faible gouvernement que ses citoyens et propres agents ne soient pas tout à fait clair sur quelles sont les règles, surtout si ce gouvernement repose, en grande partie, sur l’extraction et redistribution des ressources informelles. Il est difficile d’appliquer correctement les exigences de la transparence, par exemple, si les exigences sont elles-mêmes imprécises ou contradictoires. La confusion facilite également le désengagement et la passivité de citoyen, et réduit leur capacité à utiliser les institutions représentatives.


L’un des meilleurs exemples de la tactique “gouvernance par la confusion” est le bourbier en cours concernant les élections présidentielles prévues pour Novembre 2016. Est-ce que ces élections auront lieu ou non ? Elles n’ont pas été annulées ou reportées, mais, à ce stade tardif, il est difficile d’imaginer comment elles pourraient se réaliser à temps : les ajustements massifs sont nécessaires pour les fichiers électoraux (environ cinq millions de nouveaux électeurs sont devenus majeurs depuis les dernières élections en 2011 et ils doivent être enregistrés), et la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) manque d’un budget adéquat. Est-ce que Kabila va poser sa candidature ou non ? Il est constitutionnellement interdit de le faire, mais il se comporte comme s’il a l’intention de rester au pouvoir (son chef de cabinet a récemment mis un plan de développement en cours  couvrant jusqu’à l’horizon 2030, à peine l’action d’une administration sortante). Et, il a essayé de changer la constitution ou d’écrire un nouveau complètement. Mais plus fondamentalement, fidèle à l’ordre du jour de la confusion, Kabila semble être disposer à laisser les élections simplement se glisser, à défaut de les organiser, et conduisant le pays dans un vide constitutionnel. La stratégie de Kabila rappelle celles de Mobutu dans ses dernières années. Lui aussi (avec succès) avait essayé d’éviter les élections en brouillant les travaux de la Conférence Nationale souveraine rédaction de la constitution, même a un moment, nommant deux gouvernements et parlements simultanément.

Les  réformes de décentralisation sont un autre exemple. La Constitution de 2006 prévoit un régime décentralisé avec onze provinces, qui devait devenir vingt-six en 2009, et le transfert de 40 pour cent du revenu national aux provinces et aux entités locales décentralisées (comme les villes et villages). Mais le gouvernement a adopté très peu des lois nécessaires pour mettre en œuvre la décentralisation correctement et est tombé bien très court pour transférer les ressources suffisantes dans les provinces. Les gouvernements provinciaux ont aggravé le problème en utilisant leurs nouvelles prérogatives légales à taxer leurs citoyens, tandis que dans la plupart des cas, n’offrant pratiquement aucun service en échange de ces taxes. Le gouvernement n’a pas réussi à augmenter le nombre de provinces, jusqu’à ce qu’il l’a fait presque à l’improviste  en 2015, face à l’opposition potentielle de certains acteurs provinciaux tels que l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi. Dans le nouvel arrangement, c’est ne pas par hasard, que le Katanga a été divisé en quatre  plus petites et moins influentes provinces  (voir carte 1).
 
La division de 2015 des provinces existantes (tous sauf  le Bas — Congo, Kinshasa, Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu) suggère que le gouvernement peut prendre des mesures quand il veut, mais encore une fois, c’est un cas typique de l’élaboration des politiques induites par la confusion. Le gouvernement a laissé dans le flou,  comment le personnel ou les actifs des provinces existantes seraient divisées ; annonça, puis reporta, l’élection des nouveaux gouverneurs ; nommèrent les “commissaires spéciaux” pour diriger les nouvelles provinces, même si une telle position n’est pas mentionnée dans les lois de la décentralisation ; puis, força la Cour suprême à approuver la décision en violation de la constitution. La réorganisation des provinces a également permis Kabila d’orchestrer une série en cascade de nominations et des élections qui ont considérablement renforcé le contrôle du régime sur les institutions locales, même si le but apparent de la décentralisation était de promouvoir la responsabilité locale. Au lieu de cela, le régime contrôle dix-sept des vingt et un gouverneur depuis Mars ici 2016.



[1]  See Gérard Prunier, “Why the Congo Matters,” Atlantic Council, March 2016, http://www.atlanticcouncil.org/publications/issue-briefs/why-the-congo-….

[2]  Mo Ibrahim Foundation, “2015 Ibrahim Index of African Gover­nance: Scores and Rankings,” October 8, 2015, http://mo.ibrahim. foundation/news/2015

[3]   International, “Corruption by Country,” 2015, http:// www.transparency.org/country/#COD.  

[4]  World Bank Group, “Doing Business: Ease of Doing Business in Congo, Dem. Rep.,” http://www.doingbusiness.org/data/ex­ploreeconomies/congo-dem-rep.  

[5] World Bank/International Finance Corporation, Enterprise Sur­veys: Congo, Dem. Rep. Country Profile 2013 (Washington, DC: World Bank, October 2015), p. 9.  

[6]  Data on file with author from Banque Centrale du Congo. Num­bers reflect real GDP growth from 2005 to 2015.  

[7] International Monetary Fund, “Democratic Republic of the Con­go,” IMF Country Report 15/280, http://www.imf.org/external/ pubs/ft/scr/2015/cr15280.pdf.

8 C.W.J. de Milliano, A. Ferf, J. Oude  

[8]  C.W.J. de Milliano, A. Ferf, J. Oude Groeniger, and M. Mashanda. “Surveying livelihoods, service delivery and governance: baseline evidence from the Democratic Republic of Congo” (Wageningen University/Secure Livelihoods Research Consortium, Working Paper #30, March 2015), pp. 23 and 44.  

[9]  Open Budget Survey 2015, “The Democratic Republic of Congo,” www.openbudgetsurvey.org.  

[10]  Observatoire de la Dépense Publique, La Transparence, February 29, 2016, p. 8.  

[11]  The author is grateful to Dr. Frederick Ehrenreich for suggesting the notion of “regression to Zaire.”  

[12]  This problem is shared by other low-income countries. See M. A. Thomas, Govern Like Us: US Expectations of Poor Countries (New York: Columbia University Press, 2015). 

 

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