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Joseph Kabila, Francois Hollande

Lettre ouverte — de Madame Tokwaulu au président François Hollande

« Monsieur le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps… » De mon enfance en Normandie il me revient ce couplet du chant le « déserteur » de Boris Vian. Sans doute l’avons-nous chanté à la même époque sans savoir que vous deviendriez le Président à qui il serait adressé et moi cette femme congolaise qui l’utiliserait pour vous interpeller.

Monsieur le Président,
Je m’appelle TOKWAULU AENA Bernadette, je suis une femme de 54 ans, célibataire, mère de trois enfants, juriste et écrivain.

Je vous écris pour que vous aidiez mon pays la République Démocratique du Congo à sauver son bourgeon de démocratie en convainquant l’Union Européenne de prendre des sanctions financières et restrictions de voyage contre le Président Joseph KABILA du même ordre que celles prises contre le Président Vladimir Poutine si l’élection présidentielle le de 2016 ne se tenait pas dans les délais et s’il se maintenait à la tête de l’Etat au mépris de la Constitution. Après mise en œuvre par l’Union Européenne, ces sanctions devront être étendues par les Nations Unies. Monsieur le Président,

Le Président Joseph KABILA ne pouvant briguer un troisièmement mandat, au moment où le pays allait expérimenter pour la premiere fois l’alternative ou l’alternance démocratique, toutes les Institutions sont paralysées à escient pour que l’élection présidentielle ne puisse se tenir dans les délais constitutionnels et pour instaurer un ordre non démocratique.

Le problème est qu’après avoir fait vivre à la jeunesse deux élections présidentielles et législatives, il sera difficile de lui faire avaler que la Constitution n’était qu’un cheval de Troie pour un maintien au pouvoir du Président Joseph KABILA peut être ad vitam æternam. En décidant de sanctions au préalable, l’union européenne épargnera certainement des vies parmi la jeunesse et l’opposition.

Les 19, 20 et 21janvier2015, cette jeunesse voyant la démocratie menacée s’est livrée à es émeutes. Il y a eu 49 morts, car la répression s’est faite à balles réelles. J’ai participé à la manifestation du 19 janvier 2015 au côté de l’opposition « je suis Charlie » et nous aurions pu y laisser la vie.

Une fosse commune de 400 cadavres a été découverte à Maluku sans qu’on puisse savoir à défaut d’exhumation et d’analyses s’il s’agit de manifestants ou d’indigents. La République Démocratique du Congo est un train de devenir une immense prison pour ceux qui n’acceptent pas la fatalité de la spoliation de la démocratie.

Les jeunes insoumis organisés en association citoyennes FILIMBI et LUCHA sont emprisonnés : Incidemment, nous vous demandons de solliciter leur libération et de leur accorder l’asile politique en France. Ils sont trop jeunes pour subir cette terreur.


Des opposants politiques sont en prisons sans garantie qu’ils aient eu droit à un procès équitable face à une justice instrumentalisée comme toutes les Institutions du pays.

Monsieur le Président,

J’ai grandi en France de 1961 à 1984. J’y ai obtenu un DEA de droit des Affaires à Lille avec une bourse de la Coopération Française. J’aurai pu rester en France, mais j’ai choisi de rentrer dans mon pays.

Mes enfants paient le prix de ce choix et de mon engagement pour la démocratie et la bonne gouvernance. Mes enfants ont grandi dans la peur, dans un climat fait de menaces de mort ou d’empoisonnement contre ma personne, mes enfants et ma mère.


Je passe le climat d’intimidation résultant des convocations à l’ANR (Agence Nationale de Renseignement) au parquet général, au parquet de la République, à la police judiciaire, aux services spéciaux avec tentative d’enlèvement à mon bureau et même à GLM.

Il est arrivé à mes enfants de subir dans leur chair. Mon fils Emmanuel a été tabassé à coup de crosses de fusils d’assaut en pleine rue par la police des services spéciaux et enfermé dans leurs locaux, et ce, le jour de sa sortie de l’examen d’Etat.

Plus récemment ma fille Noëlla a failli perdre la vie à 17 ans poursuivie dans ma Jeep par un camion militaire Jiefang de la Garde Présidentielle. Elle doit la vie à la dextérité de mon chauffeur. C’est un véhicule de l’Ambassade d’Afrique du Sud qui a reçu le choc.

Récemment, j‘ai été convoquée et entendue à l’Agence Nationale de Renseignements pour mettre prononcée à la télévision contre la révision constitutionnelle.

Le 23 mars 2015, la Jeep du n° 2 de la Garde Présidentielle a cogné violemment la mienne. Et, malgré la violence du choc, j’en suis sortie indemne. Malgré cela, je reste persuadée que j’ai fait le bon choix de rentrer servir mon pays, pour lui faire bénéficier de l’expertise acquise en France. Mais, je ne suis pas sûre que mes enfants pensent de même.

Monsieur le Président,


Après 55 ans d’échec de développement en Afrique, il est temps que l’Union Européenne cesse cette connivence raciste avec des hommes forts et providentiels qui empêchent I » émergence d’une vraie démocratie.

Il est temps de considérer les Africains comme des êtres humains méritant une vie normale. La mort du vieux lion Cecil au Zimbabwe émeut le monde plus que ces centaines de Burundais qui sont morts sans pouvoir empêcher le Président Nkurunziza de se maintenir au pouvoir. Des sanctions préalables auraient permis d’économiser ces précieuses vies perdues.

On ne développera jamais l’Afrique à coup de projet : un barrage par ci, une route par là, une campagne de vaccination par ci, une campagne contre les viols par là. Le développement suppose des investissements pour la production locale pour la création d’emploi, un système éducatif digne de ce nom. Mais on n’investit pas sans stabilité politique et sans bonne gouvernance.

Notre jeunesse désœuvrée par le chômage, terrorisée par les guerres, les exactions, les injustices n’a-t-elle d’autres recours que de transporter son désespoir en France en passant par Lampedusa pour finir déambulant dans Paris ou Calais ?

Le problème de l’Union Européenne n’est pas seulement de déterminer des quotas pour se répartir ces flux incessants de réfugiés. Le problème est de tarir ce flot à la source par plus de démocratie, de paix et de développement.

Monsieur le Président,

Ceux qui s’enrichissent sur la misère de leurs peuples parleront de leur souveraineté nationale à continuer à le faire. Ils vous parleront de leur souveraineté nationale à transformer leur jeunesse en « Sheghe » (enfants des rues), en « Kuluna » (voleurs assassins à la machette), « Shekuleur » (escrocs) ou comble de l’animalité en "Shebab" ou "Bokoharam".

Ils vous parleront de leur souveraineté à garder leurs orphelins dans des mouroirs et les condamner s’ils survivent à la prostitution pour les filles et la criminalité pour les garçons. Tout cela parce qu’ils ne veulent pas organiser le suivi des enfants avec les pays d’adoption à moins que ces orphelins soient des otages pour faire taire les Occidentaux sur la spoliation de la démocratie et nous sacrifier à votre opinion publique.

Ils vous parleront de leur souveraineté nationale à faire vivre leur peuple dans le chômage, la misère, les guerres, les rebellions, les génocides, les viols massifs, et atteinte aux droits de l’homme, le sida et l’Ebola. Quelle souveraineté nationale pour des Etats qui ont besoin de troupes étrangères ou des Nations Unies pour rétablir la paix ou protéger leur territoire ?

Monsieur le Président,


« L’Afrique n’a pas besoin d’Hommes forts. Elle a besoin d’Institutions fortes »., [d’après Obama]

TOKWAULU AENA BERNADETTE
(Ecrivain)

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