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Madame Collette Braeckman

LU POUR VOUS - Pacifique mais avide de moralité politique, la nouvelle génération congolaise inquiète le pouvoir, par Collette Braeckman

GOMA, ENVOYEE SPECIALE : Alors que la chanteuse nigériane Nneka clôturait le festival Amani, des ballons multicolores, légers comme des souffles, survolèrent la foule. « Chanter pour la paix, danser pour le changement » c’était le slogan de cette troisième édition d’un festival qui durant trois jours avait attiré au Nord Kivu plus de 34.000 jeunes venus de tout l’Est du Congo mais aussi des pays voisins, Rwanda et Burundi.

Sous les applaudissements, les ballons dansaient, portant un message muet « libérez Fred ». Certes, les organisateurs, dont le Belge Eric de Lamotte, avaient explicitement banni la politique de l’enceinte du festival, mais comment juguler les pensées ?

Lorsqu’une vedette congolaise, Black Man Bausi, originaire de Goma, relaya Nneka sur scène en disant « Fred, où que tu sois, nos pensées t’accompagnent » il recueillit une ovation plus forte encore qu’au moment de sa prestation…C’est que Fred Bauma, qui l’an dernier, était le coordinateur du « village humanitaire » et l’un des piliers du festival, est devenu, depuis son arrestation en mars dernier l’une des idoles de la jeunesse. Son crime ? Avoir participé, à Kinshasa, à une conférence de presse, tenue aux côtés de Sénégalais du mouvement « Y en a marre » et de Burkinabe du « Balai Citoyen », des activistes qui, mêlant musique et politique, avaient réussi à chasser du pouvoir Blaise Compaoré au Burkina et à empêcher Abdoulaye Wade de se représenter à la tête du Sénégal.

Accusés de complot, de tentative de subversion, les Burkinabe et les Sénégalais avaient fini par être expulsés. Quant à Fred Bauma et Yves Makwambala, ils sont devenus les prisonniers politiques les plus populaires du pays.

Ils ne resteront pas longtemps seuls en prison : ce mardi, à l’aube, six militants du mouvement « la Lucha » (la lutte) et Filimbi (le sifflet) ont également été arrêtés à Goma , quelques heures avant que la capitale du Nord Kivu soit elle aussi paralysée par l’opération « Ville Morte » lancée par un collectif de partis d’opposition opposés à un éventuel report des élections de novembre. Jeudi, des charges très lourdes ont été formulées: association de malfaiteurs, incitation à la haine ethnique, désordres sur la voie publique…

Le seul crime de ces étudiants, en réalité, est d’avoir aidé à organiser la grève générale qui, mardi matin, a paralysé Goma et d’autres grandes villes du pays.

Au cours des journées qui précédèrent ces manifestations pacifiques mais sévèrement réprimées, nous avions pu, dans les coulisses du festival Amani comme dans les stands du « village humanitaire », découvrir un autre visage de la jeunesse congolaise : celui de ces quelque 500 volontaires qui avaient assuré le service d’ordre, contrôlé les entrées, géré les stands, nettoyé le site, remis en ordre le collège Mwanga pour que les cours puissent reprendre dès le lundi matin. Scouts, membres de la Croix Rouge, longilignes basketteurs vêtus de T shirts noirs, jeunes filles travaillant en cuisine avec des bénévoles belges, tous ces jeunes garçons et filles se sont acquittés de leur tâche avec sérieux, sans jamais réclamer le « café » ou le « sucré » qui, au Congo, accompagnent le moindre service…

Pour tous ces jeunes, cependant très discrets à propos de leurs opinions politiques, « Yves » et « Fred » sont des héros et le mouvement « la Lucha », qui compte quelque 2000 membres et des milliers de « followers » sur Internet, exprime ce nouveau Congo dont ils rêvent en silence.

L’un d’entre eux, « José » (le prénom a été modifié) nous explique son parcours : « lorsque Mobutu a quitté le pouvoir, en 1996, j’avais douze ans. Tout au long de mon adolescence, je n’ai connu que Joseph Kabila, qui a succédé à son père en 2001. Il était jeune, lui aussi, et ses promesses m’ont fait rêver. Après avoir réussi à mettre fin à la guerre, à réunifier le pays, il a été le premier à nous parler de démocratie, d’alternance, de respect de la Constitution. Il nous promettait aussi un pays prospère, nous disait qu’après l’aboutissement des « cinq chantiers, nous aurions l’eau, l’électricité… Il répétait : « jugez moi sur mes actes et non sur mes discours… »

Le jugement de « José », 27 ans aujourd’hui, est implacable : «les promesses n’ont pas été tenues. Nous qui représentons la « génération Kabila » nous sommes au chômage (moins de 10% des jeunes ont un emploi régulier, « formel » , les autres doivent se débrouiller). »

Lorsque nous évoquons les nouvelles routes, les infrastructures, les immeubles commerciaux qui, à Goma ou ailleurs poussent comme des champignons, « José » balaie ces arguments : « par rapport aux moyens dont ils disposaient, ils n’ont rien fait. Ce pays est riche, beaucoup d’argent a circulé, est rentré dans les caisses de l’Etat. Mais le pouvoir a multiplié les taxes, à Goma ou ailleurs, les villas luxueuses ont été construites avec l’argent de la corruption…Pour la population, la vie est devenue encore plus difficile, les écarts se sont creusés. »

Aux yeux des jeunes comme « José », l’échec est évident : « les recettes du pouvoir sont les mêmes que du temps de Mobutu, dédoublement des partis, achat des voix, enrichissement personnel… Nous représentons la « génération Kabila » mais ce dernier ne nous fait plus rêver… En novembre prochain, à l’issue de son deuxième mandat, il faut qu’il parte… »

Pour « José, le le rêve n’est pas mort pour autant : «un autre Congo est possible. La générosité, le désintéressement, cela existe, Amani l’a démontré… Lorsque des politiciens veulent nous donner 100 dollars à titre de « motivation », de « per diem », de « transport » nous refusons systématiquement. C’est cela le « mal congolais », toujours « chercher l’argent ». Cela nous humilie, notre pays vaut mieux que cela… Pour accueillir et récompenser notre équipe après sa victoire à la Coupe d’Afrique de football, le pouvoir a dépensé deux millions de dollars… Mais la population a refusé d’aller fêter les joueurs au stade… »

C’est peut-être à cause de ce refus d’entrer dans le système, qu’à Kinshasa, dans les cercles du pouvoir, la « génération Kabila », celle de ces jeunes déçus par leur idole d’hier et qui refusent ses méthodes d’aujourd’hui, inquiète et suscite répression et calomnies : « ces jeunes ne peuvent qu’être payés par les Américains, vouloir déstabiliser le pays… »

Idéalistes, et pacifistes, attachés au respect de la Constitution, ces jeunes ne représentent-ils qu’une petite élite urbaine, mobilisée via les réseaux sociaux mais coupée des quartiers populaires, dont la répression, s’ajoutant à la coupure des réseaux de communication, finira par venir à bout ? Ou bien sont-ils la partie visible de l’iceberg, révélateurs d’un désaveu plus général à l’égard d’un pouvoir qui a rendu les inégalités encore plus visibles que du temps de Mobutu ?

Cette question hantera le Congo dans les mois à venir.

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