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Selemani Francis Mtwale, frère du président Joseph Kabila dirigeant la BGFIBank RDC.

RD Congo: Voici le trésorier des terrorists

Résumé analytique
Les banques utilisées par les gouvernements kleptocrates pour détourner les actifs publics peuvent également être mises à profit par les réseaux de financement du terrorisme. C’est ce qui s’est produit dans une grande banque de la République démocratique du Congo. Par son intermédiaire, des entités et individus faisant l’objet de sanctions imposées par les États-Unis, au sujet de Hezbollah, ont déplacé des fonds au sein du système bancaire international, bien que les employés de l’établissement aient averti à plusieurs reprises que de telles opérations pouvaient violer le régime de sanctions américain. Or il ne s’agissait pas de n’importe quelle banque. La BGFIBank République démocratique du Congo (BGFIBank RDC), l’institution ayant procédé aux transactions en question, est dirigée par le frère du président Joseph Kabila. Elle a fait parler d’elle lors d’un scandale récemment survenu au Congo, impliquant la commission électorale nationale et le détournement présumé des fonds publics de sociétés minières publique(i).

Comme exposé dans le présent rapport, des employés de la BGFIBank RDC ont en 2011 signalé à la direction de la banque, par écrit, l’exécution d’une série de transactions suspectes. Le problème portait sur le fait que ces transactions impliquaient des sociétés liées aux bailleurs de fonds du Hezbollah, un groupe terroriste et parti politique libanais. Les principales entités concernées étaient des filiales de Congo Futur, un groupe d’entreprises basé à Kinshasa et assujetti au régime de sanctions du Département du Trésor américain. Ces avertissements s’adressaient notamment à Selemani Francis Mtwale, frère du président Joseph Kabila dirigeant la BGFIBank RDC. Mais les relations entre la banque et les sociétés liées au Hezbollah se sont poursuivies. La BGFIBank RDC a même été jusqu’à demander que certaines transactions soient débloquées par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor américain après que d’autres banques ont refusé d’effectuer ces mêmes opérations. La BGFIBank RDC tenait toujours des comptes pour les sociétés affiliées à Congo Futur en 2016. Cette situation soulève d’importantes questions concernant la capacité et la volonté de la banque à s’acquitter de ses obligations quant à l’application des sanctions et au respect des règles contre le blanchiment d’argent.

La BGFIBank RDC aurait été utilisée aux fins du détournement d’importants fonds publics au Congo, y compris des millions de dollars de retrait imputés à la commission électorale congolaise et des transferts d’espèces s’élevant à 8 millions de dollars – des « avances fiscales » irrégulières de la part de Gécamines, la plus grande société minière publique du pays (ii). Les rapports publiés soulèvent de sérieuses questions quant au régime de réglementation et de conformité de la banque.

La faiblesse des normes liées à l’application des sanctions et des règles contre le blanchiment d’argent peut donner du pouvoir à un large éventail de groupes criminels et d’acteurs corrompus – et, en définitive, affaiblir la gouvernance et contribuer à l’instabilité, au Congo et partout ailleurs. Les membres de la société civile ont laissé entendre que les intérêts commerciaux du président pouvaient être l’une des raisons pour lesquelles ce dernier, qui a déclenché une violente crise politique nationale en prolongeant récemment son mandat présidentiel, a maintenu une poigne de fer sur la présidence de son pays (iii).

Dans l’exemple du présent rapport, la stratégie de la BGFIBank RDC pour l’application des sanctions a permis au réseau de Kassim Tajideen – décrit par les États-Unis comme « un important contributeur financier » ayant « levé des dizaines de millions de dollars au profit du Hezbollah »iv– de maintenir son accès au système financier international malgré les sanctions qui lui ont été imposées par les États-Unis en 2009. Les documents examinés par le groupe d’investigation américain The Sentry ont également mis en exergue les liens entre Congo Futur et d’autres entreprises placées sous le contrôle de Kassim Tajideen. Ces documents indiquent que les filiales de Congo Futur se sont servies de la BGFIBank RDC pour tenir des comptes et effectuer des virements après l’application de sanctions américaines à l’encontre de Congo Futur et de Kassim Tajideen. Les employées de la banque avaient pourtant tenté de dissuader l’établissement d’effectuer ces opérations. Ces informations contredisent les affirmations publiques répétées de la part de Kassim Tajideen et de l’un de ses frères non visé par les sanctions américaines, le directeur général de Congo Futur Ahmed Tajideen, selon lesquelles le groupe basé à Kinshasa n’avait aucun lien avec les frères Tajideen faisant l’objet de sanctions.

Malgré les sanctions américaines, Congo Futur a continué de prospérer dans le pays ; il entretient même des liens financiers avec le gouvernement congolais et a obtenu des marchés publics. Ces relations continues remettent largement en cause l’engagement du gouvernement congolais en faveur de la lutte contre le terrorisme international, le crime transnational et le financement illicite. Congo Futur s’est développé et demeure un groupe éminent, en dépit des sanctions qui lui ont été imposées et de la baisse de légitimité du régime de Kabila. La BGFIBank RDC a été utilisée pour faciliter l’accès de Congo Futur au système financier américain en contournant les sanctions.

Si cet exemple illustre la manière dont les banques peuvent être exploitées par des bailleurs de fonds aussi bien kleptocrates que terroristes, la dépendance continue de ces acteurs envers le système financier mondial signifie que la communauté internationale a le pouvoir de contrer cette double menace. Tant que les forces de l’ordre et les décideurs n’interviendront pas, les entreprises et les élites politiques profiteuses pourront agir en toute impunité. Mais la marche à suivre est évidente. Les sanctions à l’encontre des réseaux à grande échelle, les enquêtes et les poursuites pénales, la lutte contre le blanchiment d’argent, l’amélioration de la diligence raisonnable des banques et les mesures de transparence constituent en effet une puissante combinaison de solutions. Appliquées avec dextérité par les États-Unis, l’Union européenne et les autorités bancaires internationales, ces mesures pourraient rompre les liens vitaux par lesquels agissent les hauts dirigeants corrompus, les bailleurs de fonds du terrorisme et leurs réseaux commerciaux. The Sentry formule les recommandations suivantes:

1. Sanctions ciblées. Les États-Unis et l’Union européenne doivent de toute urgence imposer et mettre en oeuvre deux ensembles de sanctions économiques ciblées :

  • Le gouvernement américain devrait enquêter et agir en vertu du décret-loi n° 13224 – le principal texte utilisé dans le cadre des sanctions antiterroristes – pour désigner tout employé de la BGFIBank RDC qu’il identifie comme ayant procédé en connaissance de cause à des transactions pour le compte de Congo Futur, ainsi que pour désigner toute autre entité du réseau Congo Futur qu’il identifie comme étant engagée dans des activités illégales.
  • Le gouvernement américain devait enquêter et agir en vertu du décret-loi n° 13671, et l’Union européenne devrait enquêter et agir en vertu du Règlement (CE) n° 1183 du 18 juillet 2005 et du Règlement (UE) n° 2016/2230 (2), les trois principaux textes américains et européens utilisés dans le cadre des sanctions prononcées à l’égard de la République démocratique du Congo pour désigner les réseaux des membres haut placés du régime, y compris les conseillers financiers, les membres de la famille Kabila et leurs sociétés, que les États-Unis et l’Union européenne identifient comme étant engagés dans des activités illégales.
  • En vertu de la loi Magnitski (Global Magnitsky Human Rights Accountability Act, loi publique n° 114-328), le gouvernement américain devrait sanctionner tout auteur d’« actes de corruption importante » associés aux transactions décrites dans le présent rapport (v).

Les répercussions de ces sanctions seraient alors identiques : geler les actifs de toute entité ou tout individu désigné et leur interdire l’accès au système financier.

2. Enquêtes pénales. En vertu du Patriot Act et de la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act, IEEPA), le ministère américain de la Justice devrait étendre ses enquêtes au réseau Tajideen afin d’évaluer l’éventuelle responsabilité pénale de la direction de la BGFIBank RDC pour avoir en connaissance de cause entretenu des relations commerciales avec les bailleurs de fonds du Hezbollah. Les services américains et européens spécialisés dans les crimes transnationaux et les violations des droits de l’homme devraient chercher à déterminer si des entités relevant de leur juridiction présentent des liens avec le réseau Tajideen, et s’intéresser en priorité à la facilitation financière des activités terroristes ou aux violations des droits de l’homme, y compris la facilitation potentielle de crimes perpétrés au Congo.

3. Lutte contre le blanchiment d’argent et la menace « financière ». Le réseau pour la répression des délits financiers (Financial Crimes Enforcement Network, FinCEN) américain et les services européens de renseignements financiers devraient immédiatement enquêter sur les transactions décrites dans le présent rapport et, si la situation le justifie, adresser des avertissements aux banques et autres institutions financières. En vertu du pouvoir qui lui est conféré par la section 314(a) du Patriot Act, le FinCEN devrait publier une demande d’enquête exigeant des banques qu’elles examinent le passé des sociétés et des individus impliqués. Si le FinCEN identifie des activités s’apparentant au blanchiment d’argent ou des menaces « financières », les avertissements émis doivent mettre en avant le risque qu’encourent les banques réalisant des affaires avec la BGFIBank RDC si elles procèdent à des transactions pour le compte d’entités associées au Hezbollah. Si la situation le justifie, le FinCEN doit également mettre en garde contre les risques généraux manifestes posés par le système bancaire congolais, en particulier les risques de blanchiment d’argent et de menace financière liés à la corruption du régime Kabila et de son réseau commercial. Cette étape essentielle amènerait les banques à se montrer plus vigilantes et à rendre des comptes, ce qui pourrait permettre la mise en place de mesures supplémentaires par les services de renseignements financiers.

4. Devoir de diligence raisonnable des banques et diminution des risques. Tout en étant conscientes de ce qu’implique la « sur-conformité » et la diminution des risques, et en évitant les risques qui y sont associés, les banques internationales qui entretiennent des relations commerciales au Congo doivent immédiatement exercer une diligence renforcée lorsqu’elles traitent avec les banques congolaises, notamment s’agissant de la prestation de services par correspondants bancaires et du financement commercial.

5. Registre des entreprises publiques. Le gouvernement congolais, dirigé par le ministère de l’Économie nationale et le ministère du Commerce extérieur, doit mettre au point un registre public consultable en ligne de toutes les personnes morales constituées dans le pays afin d’améliorer la transparence des entreprises, la supervision publique et la responsabilité.


i) Xavier Counasse et Colette Braeckman, 29 octobre 2016, « Corruption au Congo : les preuves qui accablent le régime Kabila », Le Soir, disponible à l’adresse http://plus.lesoir.be/66290/article/2016-10-29/corruption-au-congo-les-… ; Jeffrey Gettleman, 27 décembre 2016, « As President Joseph Kabila Digs In, Tensions Rise in Congo », The New York Times, disponible à l’adresse https://www.nytimes.com/2016/12/17/world/africa/congo- joseph-kabila-corruption.html.
ii) Documents obtenus et examinés par The Sentry ; Counasse et Braeckman, « Corruption au Congo » ; Aaron Ross, 31 octobre 2016, « Belgium, Congo activists urge probe into Congo corruption claims », Reuters, disponible à l’adresse http://www.reuters.com/article/us-congo-corruption/belgium-congo-activi…- claims-idUSKBN12V1ZW ; et Jeffrey Gettleman, « As President Joseph Kabila Digs In, Tensions Rise in Congo ».
iii) Michael Kavanagh, Thomas Wilson et Franz Wild, 15 décembre 2016, « With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In », Bloomberg, disponible à l’adresse https://www.bloomberg.com/news/features/2016-12-15/with-his-family-fort… ; Kimiko de Freytas-Tamura, 23 juillet 2017, « When Will Kabila Go? Congolese Leader Long Overstays His Welcome », The New York Times, disponible à l’adresse https://www.nytimes.com/2017/07/23/world/africa/congo-joseph-kabila-ele….
iv) Département du Trésor américain, 27 mai 2009, « Treasury Targets Hizballah Network in Africa », communiqué de presse, disponible à l’adresse https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/tg149.aspx.
v) S.284 - Global Magnitsky Human Rights Accountability Act 114th Congress (2015-2016), disponible à l’adresse https://www.congress.gov/bill/114th-congress/senate-bill/284/text ; lettre de 23 organisations consacrées à la promotion des droits de l’homme universels et à la lutte contre la corruption adressée au secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, et au secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, 12 septembre 2017, disponible (en anglais) à l’adresse https://enoughproject.org/blog/ngos-call- sec-tillerson-sec-mnuchin-robust-implementation-magnitsky-act.

 

SOURCE: https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/15f2d334f9ac4147?projector=1

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