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Sur une drageuse artisanale de la rivière Ulindi, à l’est du Congo, les orpailleurs séparent l’or du sable avec du mercure hautement polluant. Crédits : Désirée Ruppen, BGR

RDC : le scandale de l’or de la rivière Ulindi, pillé par une société chinoise, Par Chloé Hecketsweiler et Serge Michel

Il y a de l’or dans la rivière Ulindi, à l’est du Congo, et une compagnie chinoise, Kun Hou Mining, a décidé de mettre la main dessus. Comment faire ? Selon un rapport de l’ONG Global Witness, publié le 5 juillet 2016, c’est assez simple :

  1. Négocier dès l’été 2013 avec le gouverneur de la province du Sud-Kivu, afin d’obtenir sa bénédiction et celle de ses services.
  2. Offrir en 2014 des armes et de l’argent à des groupes armés locaux, pour acheter leur protection. Leur permettre, par la même occasion, de rançonner les orpailleurs artisanaux afin de maintenir leurs activités, qui relèvent du banditisme.
  3. Amener quatre dragueuses à godets à Shabunda, une ville enclavée à 150 km à l’ouest de Bukavu, la capitale de la province, pour extraire de la rivière Ulindi de l’or alluvionnaire dont les quantités ne figureront sur aucun registre
  4. Vendre cet or aux commerçants de Bukavu qui le feront suivre à leur filiale à Dubaï, où se perd la trace du métal précieux.

Le tour est joué. Un tour qui, selon les calculs de Global Witness, a ainsi vu s’évaporer de Shabunda plus d’une tonne d’or par an (soit 38 millions de dollars au prix international), tout en finançant les groupes armés qui sèment la terreur depuis dix ans dans la région. Le tout sans que le moindre impôt local ne soit payé, si bien que la population locale n’en profite pas. Au contraire : la ruée vers l’or de Shabunda, ville qui ne dispose ni d’eau courante ni d’électricité, a fait exploser le prix des vivres et a laissé une partie des habitants le ventre vide.

Scène de rue, à Shabunda, à l’est du Congo, ville ayant été le théâtre d’une ruée vers l’or dès 2013.

Pour ses recherches, l’ONG a mené plus de 80 interviews dans la région au plus fort de la fièvre de l’or de Shabunda, entre 2014 et 2015. Ses conclusions sont accablantes : tout au long de la chaîne de valeur, du plongeur dans la rivière au marchand de Dubaï, les lois congolaises et les lignes de conduites de l’ONU ou de l’OCDE sont violées. De fait, sur les marchés de l’or à Dubaï, en Suisse ou à Londres, l’acheteur n’a aucune garantie qu’il n’est pas en train de financer des groupes armés au Congo, même si la rivière Ulindi semble désormais charrier moins de métal précieux. Voici les principaux éléments du rapport :

1. L’exploitant chinois éhonté

Kun Hou Mining, société appartenant au groupe du même nom enregistré à Shijiazhuang, dans la province chinoise du Hebei, a aussi une filiale en Ouganda. Elle est dirigée à l’est du Congo par un certain Michael Wang, 44 ans, lequel a démarré les opérations à Shabunda en septembre 2014 avec un associé français, Franck Menard, 64 ans. L’or produit par Kun Hou grâce à ses quatre dragueuses à godets, longues chacune de 25 mètres, est estimé par l’ONG à 460 kg par an (17,5 millions de dollars). Mais la compagnie a aussi récupéré de l’or de coopératives locales, qui travaillent avec des « dragues suceuses », sorte de radeaux aspirant les sédiments alluviaux par un simple tuyau qu’un plongeur enfonce dans le gravier, à trente mètres de profondeur. Ces 150 dragues artisanales auraient produit entre 550 et 720 kg d’or par an au pic de la production, entre 2014 et 2015.

L’une des quatre dragues dotées de « chaînes à godets » amenées à Shabunda par la société chinoise Kun Hou Mining . La chaîne à godets peut atteindre une profondeur de 15 mètres. Chaque drague produit entre 10 et 20 kg d’or par mois. Crédits : COSOC-GL

Cependant, pas un gramme de l’or de Shabuna ne figure dans les statistiques de la province du Sud-Kivu. Pourquoi ? Kun Hou affirme qu’une émeute populaire, à Shabunda, en juin 2015, a pillé tout son stock d’or accumulé depuis des mois. Pour Global Witness, il s’agit là d’un mensonge éhonté, accrédité par les autorités, destiné à éviter de payer des impôts locaux, estimés à au moins 300 000 dollars par an. Kun Hou, ce faisant, ne peut ignorer les lignes de conduites internationales. Ses deux représentants, Michael Wang et Franck Menard, ont participé en mai 2015 à un séminaire de trois jours au siège de l’OCDE, à Paris, sur les pratiques d’approvisionnement responsable pour les minerais.

2. Les gangsters des groupes armés

Les milices Raïa Mutumboki, composées de plusieurs groupes, ont été formées à l’origine, en 2005, pour « protéger la population contre les rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ». A l’effacement des rebelles, la plupart ont refusé de désarmer et se sont tournées contre la population, pratiquant le racket et les kidnappings contre rançon. Elles ont été achetées par Kun Hou dès l’arrivée de la société chinoise. Une lettre récupérée par Global Witness fait état d’un premier don de 4 000 dollars et de deux kalachnikovs, ainsi que des talkies-walkies et de la nourriture. Ces milices ont par ailleurs rançonné les dragueurs artisanaux, gagnant ainsi 25 000 dollars par mois, à raison de 5 grammes d’or prélevés deux fois par mois sur chaque installation.

Lire aussi : « Panama papers » : Dan Gertler, roi du Congo et de l’offshore

Au même moment, l’agence officielle chinoise Xinhua critiquait vertement les milices Raïa Mutumboki, qui se sont emparées de dix villages de la région de Shabunda en août 2015 et les ont soumis au pillage.

La rivière Ulindi, à l’est du Congo, charrie de l’or dans ses alluvions. Mais elle est aussi infestée de groupes armés, les Raia Mutumboki, qui rançonnent les orpailleurs et que la société chinoise Kun Hou a payés pour qu’ils la protègent. Crédits : Desiree Ruppen, BGR
 

3. Des autorités complaisantes

Global Witness qualifie d’« incompréhensible » l’attitude du gouverneur du Sud-Kivu, Marcellin Cishambo, et son ex-ministre des mines, Adalbert Murhi. Ces deux personnages ont couvert les opérations illégales de Kun Hou, ont attesté du fameux « vol » de l’or par la population en juin 2015 et ont maquillé la provenance de l’or de Shabunda, dont ils savaient qu’il ne remplirait pas les standards internationaux, puisque son extraction nourrissait des groupes armés. Ainsi, dans les statistiques provinciales, tout l’or exporté par le Sud-Kivu en 2014 et 2015, soit 446 kg, uns sous-estimation grossière, provient de Walungu, la seule région dont les mines sont certifiées.

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Quand au printemps 2015 le premier ministre du Congo, Matata Ponyo Mapon, alarmé par les rapports en provenance de Shabunda, a intimé l’ordre au gouverneur du Sud-Kivu de faire cesser immédiatement la production d’or de la rivière Ulindi, celui-ci a fait la sourde oreille, avant de finalement publier un décret qu’il n’a pas pris son de faire appliquer. Au printemps 2016, des témoins ont rapporté à Global Witness que l’extraction de l’or à Shabunda continuait comme si de rien n’était.

4. Un organe de contrôle corrompu

Le Congo est doté d’une agence gouvernementale, la SAESSECAM (Service d’assistance et d’encadrement de small scale mining), chargée de protéger les orpailleurs artisanaux, qui travaillent souvent 24 heures sur 24 dans la rivière. A Shabunda, les agents de la SAESSECAM, dirigés par un certain John Tshonga, ont fait exactement le contraire. Ils se sont entendus avec les miliciens des Raïa Mutumboki pour prélever des taxes illégales sur les plongeurs et dragueurs artisanaux. Selon Global Witness, ces taxes illégales, environ 10 % de la production hebdomadaire, se sont élevées à 2,8 millions de dollars au moins, alors que le budget de la province du Sud-Kivu, lui, n’affichait aucun revenu fiscal en provenance de l’or alluvionnaire. Pendant ce temps, les mineurs ont connu un taux de mortalité important, soit en raison d’effondrements des berges de l’Ulindi, soit par approvisionnement insuffisant en oxygène durant leur plongée, soit encore parce qu’ils se faisaient heurter sous l’eau par des troncs charriés par la rivière.

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5. Les marchands d’or de Bukavu

Selon Global Witness, la majorité de l’or de Shabunda quitte discrètement la RDC par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Mais l’ONG a trouvé un document qui atteste d’une vente d’or de Kun Hou à un marchand de Bukavu, Alpha Gold. Dans les registres des exportations figure ensuite une seule transaction : la vente en 2015 de 12 kg d’or par Alpha Gold à sa compagnie sœur à Dubaï, Alpha Gold Corp DMCC, laquelle contrôle une compagnie britannique, Alpha Gold Ltd, enregistrée à Hatton Garden, le quartier londonien des joailliers. Aucune de ces sociétés, qui appartiendraient à l’homme d’affaires canadien Sibtein Alibhai, n’a exercé un devoir de diligence sur sa chaîne d’approvisionnement, conformément aux normes internationales.

Une « dragues suceuses » sur la rivière Ulindi. Elle aspire les sédiments alluviaux par un simple tuyau qu’un plongeur enfonce dans le gravier, à trente mètres de profondeur. Les sédiments remontés à la surface sont déversés sur une sorte de tapis. Les particules fines qui s’y trouvent sont amalgamées par l’équipe de lavage à l’aide de mercure. Après la combustion de l’amalgame, l’or pur peut être récupéré, environ 30 grammes par jour. Crédits : COSOC-GL
L’histoire révélée par Global Witness, est loin d’être un cas unique. Selon un rapport publié en avril 2015 par les Nations Unies, les ressources naturelles exploitées et exportées illégalement dans l’est du Congo représente un pactole de 1,25 milliard de dollars par an. Entre 10 et 30 % de cette somme finance des organisations criminelles au Congo, estiment les experts, mais aussi dans d’autres pays. L’or est, de loin, le business le plus lucratif avec des profits estimés entre 40 et 120 millions de dollars, devant le bois, le charbon, les minerais et les diamants. Environ 98 % des revenus issus de l’exploitation illégale de ce métal précieux seraient en effet captés par des réseaux criminels. Au Congo, au moins 25 groupes armés empochent ainsi chaque année plusieurs millions de dollars. « Un lingot d’or d’un kilo (38 000 euros au cours actuel) a la taille d’un smartphone : impossible à repérer », souligne un bon connaisseur de la filière, sous couvert d’anonymat.

L’évolution de la législation internationale, qui limite en théorie le commerce des minerais extraits illégalement, a en réalité peu changé la donne sur le terrain. Adopté en 2010, le Dodd Franck Act oblige les sociétés cotées en bourse aux États-Unis à vérifier l’origine des minerais. « Mais cela se résume la plupart du temps à cocher des cases : il n’y a aucun contrôle sur place », regrette un expert, également sous couvert d’anonymat. La Chine a également adopté des normes, basées sur celles de l’OCDE, mais ne les applique pas. En RDC, les conditions de travail n’ont guère changé, voire se sont dégradées. « Il faut admettre que les sanctions se sont d’abord traduites par une chute du revenu pour les mineurs », admettent les experts de l’ONU.

 

 

SOURCE: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/05/rdc-le-scandale-de-l-o…
 

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