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Une Mise en Scène du Théâtre Politique le Plus Ambitieux ? 14 Heures au Tribunal Congo

Le mélange d’une cour de justice avec la théâtralité de la scène, un projet monumental étudie les 20 ans de conflit en RDC, écoutant les vraies victimes, les politiciens et aussi les grandes entreprises. Sur une période de plus de 14 heures, les audiences Berlin ont étudié la responsabilité d’un éventail d’acteurs dans le Congo depuis des décennies de conflit.

« Silence, il vous plait » dit le jeune huissier de justice, et un silence immédiat descendit dans la salle. Il ordonna, « veuillez vous lever, le tribunal est maintenant en session » et le public se leva brusquement comme le chef enquêteur et le juge entrèrent dans la cour portant de robes noires. En partie procès de crimes de guerre, en partie pièce d’art de performance : le tribunal examine le conflit congolais.

Un homme avec un clapet de cinéma apparut et une voix à gauche de la scène dit : « Das Kongo Tribunal, Session 3. Action ». La claquement du clapet de cinéma rappela à l’auditoire qu’ils n’étaient pas, en fait, dans une salle d’audience, mais sur un montage. La voix était celle de Milo Rau, un réalisateur suisse qui, avec sa compagnie, l’Institut international d’assassins politique, amena le conflit du Congo tout droit dans le cœur de l’Europe, dans l’une des pièces la plus ambitieuse de théâtre politique jamais organisé.


Tenue le week-end dernier, Rau entreprit de créer un « simple portrait de vérité » de la guerre au Congo qu’il croit être les conflits économiques les plus intensifs de l’histoire humaine, estimé d’avoir couté entre cinq et sept millions de vies, revendiquées dans des centaines de massacres au cours des 20 dernières années et qui sont restés tous impunis.

Les audiences de Berlin suivirent les trois jours d’enquête dans la ville de Bukavu en RDC le mois dernier, qui apportèrent les anciens rebelles face à face avec les victimes de massacres, le gouvernement et les politiciens de l’opposition, les économistes et les philosophes, et examinèrent les origines du conflit et les raisons pour sa continuation.

« Pourquoi cette guerre continue-t-elle de faire rage, n’a plus à faire avec l’antagonisme ethnique, mais les matières premières, comme le coltan, le niobium, ou la cassitérite, qui sont considérés comme essentiels à nos vies du 21ème siècle, et se trouvent en abondance dans la République démocratique du Congo, » déclara Rau au Guardian, avant les sessions Berlin.
« Mon impression est que toute chose et tout le mode et à partir de ses voisins immédiats, les organisations rebelles, les sociétés minières internationales, même le gouvernement et les ONG, profitent de ce chaos perpétuel. Ceci n’est rien d’autre qu’une économie de guerre », à t-il dit.

Sur une période de plus de 14 heures, les audiences Berlin ont étudié la responsabilité d’un éventail d’acteurs dans le conflit, y compris les sociétés internationales, la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies et les ONG, et bien sûr, le gouvernement, passé et présent, du Congo lui-même.

Les informations inondèrent le public dans un mélange de Français, allemand et anglais, et en RDC une bande téléscripteur en direct dans la salle d’audience, donnant le rapport minute par minute pour ceux qui assistaient à l’événement de Bukavu, selon des diplomates congolais à Berlin.

Les sociétés minières étrangères ont fait l’objet d’une attention particulière dans le tribunal, accusées de profiter des conditions d’un Etat en faillite, leur permettant de fonctionner sans payer les impôts ; licenciant les anciens travailleurs ; et déplaçant des communautés entières à des sites inadéquats, laissant les résidents sans compensation — le tout avec le soutien présumé de la Banque mondiale.

« Cent ans plus tard, le peuple du Congo est encore une victime de l’exploitation des richesses et des ressources (du Congo) », Vital Kamerhe, candidat à la présidentielle en RDC.

« Certaines parties du Congo sont devenues comme un magasin self-service, » avait déclaré  Sylvestre Bisimwa, un avocat congolais et l’enquêteur en chef du tribunal. « Le pillage transnational de grandes dimensions a eu lieu. » Il donna l’exemple d’un village déplacé à une colline inhabitable par une société minière qui avait acheté les droits d’exploitation minière d’or de l’ancien président Mobutu Sese Seko — l’un des nombreux de milliers d’exemples de la façon dont une société internationale, tout simplement s’installait et prenait contrôle, dit Bisimwa.

Bisimwa  déclara que bien que nombreuses violations de la loi aient été perpétrées par des sociétés, aucun des crimes n’était jamais amené à la cour. « Il devrait en fait être possible de lutter contre ces cas légalement, mais cela n’a jamais eu lieu au Congo, » a-t-il affirmé.

Berlin a été choisi comme le site de la deuxième partie du tribunal en raison du rôle qu’il a en premier lieu joué au 19ème siècle sur la ruée par les empires colonialistes à morceler le continent entre eux, connu sous le nom de « ruée vers l’Afrique ».

Mila Rau et son équipe pendant le tournage en RDC. Un film du projet est dû à être publié à l’automne 2016. Le Tribunal Congo

Situé à Sophiensaele, le théâtre d’avant-garde le plus populaire de la capitale, Vital Kamerhe, leader politique et candidat à la présidentielle pour les élections de Novembre de 2016, déclara au tribunal : « Berlin, vous avez joué un rôle dans l’élaboration de mon destin » il ya un siècle, dit-il, c’était l’ivoire et le caoutchouc qui avaient occasionné la ruée des sociétés pour piller son pays. Maintenant, les intérêts ont été transférés sur des produits tels que le coltan — largement utilisés dans la technologie mobile — les réserves dans l’Est du Congo sont les plus important que partout ailleurs dans le monde.

« Cent ans plus tard, le peuple du Congo est encore victime de l’exploitation des richesses et des ressources (du Congo), » l’homme politique dit, dans ce qui était l’un des discours le plus émotionnels pendant une audience qui étaient souvent sec et très intellectuels.

D’après Jean-Louis Gilissen, le juge en chef, « les audiences ont montré que la vérité peut éclater au grand jour dans la lumière et ont donné aux victimes, une chance de parler pour la première fois ».
    
Au banc des accusés, peut-être surprenant pour certains, de nombreuses ONG qui ont eu une présence au Congo. Linda Polman, une journaliste néerlandaise et l’une des critiques les plus virulentes des organisations d’aides internationales donnèrent une critique brûlante de ce qu’elle appelle « l’industrie d' aide humanitaire » faisant valoir qu’elle était rarement assez responsable et trop souvent myope.

Les travailleurs humanitaires et les soldats étrangers manquent trop souvent de connaissances locales, la langue ou les sensibilités culturelles, dit-elle, citant en particulier les soi-disant Casques bleus de l’ONU. Elle souligna qu’il était temps de « considérer l’aide comme une industrie, plutôt que l’image que nous avons de cette industrie comme la mère Thérèse » et appela toutes les organisations de signer un code de conduite.
Le jury, de gauche à droite : Wolfgang Kaleck, Saran Kaba Jones, Harald Welzer, Marc-Antoine Vumilia Muhindo, Colette Braeckman et Saskia Sassen

Le jury accepta. Composé de diverses personnalités du monde du droit, les droits civils, des affaires et de la philosophie, comprenant Wolfgang Kaleck, qui représente le dénonciateur Edward Snowden, Marc-Antoine Vumilia Muhindo, un ancien politicien controversé et le sociologue hollandais et principal critique de la mondialisation, Saskia Sassen.

Alors que certains membres du jury avaient exprimé leur frustration face aux limitations du tribunal — qui, contrairement à un véritable procès ne conduira pas à des poursuites — le juge en chef Jean-Louis Gilissen dit qu’après avoir vu l’effet des audiences de Bukavu sur les participants, il supporterait totalement l’idée de transformer l’essai théâtral en quelque chose de plus substantiel.

Gilissen, qui travaille comme avocat à la cour pénale internationale où il a représenté les enfants soldats en procès contre les milices congolaises, déclara que les participants après les séances de Bukavu « s’étaient réunis et avaient discuté les questions d’une manière constructive. C’était étonnant de voir ».

Kamerhe dit de la procédure : « Les deux audiences de Berlin et de Bukavu ont montré que la vérité peut venir à la lumière, et ils ont donné aux victimes l’occasion de parler pour la première fois, ce qui est au moins cathartique ».

« Nous sommes heureux que cela ait été adressé à Berlin — qui est un signe d’espoir pour les Congolais que le monde est à l’écoute. Ca doit être poursuivi ».

Le film de Milo Rau, Le Tribunal Congo, est planifié d’être publié à l’automne 2016

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