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Guerre d'Uvira

Uvira: une nouvelle rébellion passe à l’assaut, par Collette Braeckman

La nouvelle rébellion qui a éclaté dans le Sud Kivu est-elle le début d’une guerre de libération ou une autre manœuvre de diversion face à l’échéance électorale ?

Tout est mis en œuvre à Uvira pour éviter une escalade du conflit : alors que jeudi matin, des hommes armés, arrivant par bateau, attaquaient la ville qui fait la frontière avec le Burundi, l’armée congolaise a répliqué avec des armes lourdes et, contrairement à ce qui avait été déclaré initialement, les assaillants ne sont pas entrés dans la ville.

Après plusieurs heures d’affrontements, l’attaque a été repoussée et la Monusco a engagé des hélicoptères sur le terrain. Afin de prévenir un mouvement de panique qui aurait poussé la population d’Uvira à quitter la ville et à tenter de remonter vers Bukavu via la route dite des escarpements, la Monusco a refusé la formation d’un « couloir humanitaire » qui aurait permis l’exode. Les habitants d’Uvira, terrorisés, sont donc restés terrés chez eux et les enfants ne sont pas allés à l’école.

Présentés comme des « Mai Yakutumba » les assaillants se réclament de la Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo, CNPSC. Celle-ci repose essentiellement sur le groupe formé par le commandant William Amuri Yakutumba qui a quitté l’armée congolaise en 2007. Le mouvement a déjà attaqué l’armée congolaise en d’autres lieux, dont Force Bendera et il opère dans la région de Fizi et du Maniema, des zones où était naguère installé le PRP, Parti de la révolution populaire présent dans le maquis créé par Laurent désiré Kabila, père du président actuel. Les combats aux confins du Sud Kivu et du Maniéma inquiètent les observateurs congolais qui relèvent que c’est dans cette zone que, voici deux décennies, en octobre 2016, commença la première guerre du Congo qui sept mois plus tard devait mener à la chute du président Mobutu.

Une fois de plus, c’est l’Est du Congo qui pourrait être la poudrière d’où viendra la déflagration fatale. Les derniers évènements survenus le week end dernier à Panzi, dans la banlieue de Bukavu, montrent à quel point les esprits sont échauffés : lorsque la population découvrit que des malfaiteurs sévissant dans le quartier étaient en fait des policiers mafieux, elle se souleva contre les forces de l’ordre et 53 policiers furent blessés, dont certains subirent le supplice du pneu enflammé.

A l’heure actuelle, deux hypothèses sont émises à propos du mouvement CNPSC : la première est que ce nouveau groupe, mieux armé et semble-t-il mieux formé que ces prédécesseurs, se réfère l’article 64 de la Constitution congolaise, qui autorise tout citoyen congolais à s’opposer aux violations de la Constitution. Ces combattants qui, selon certaines sources, se comportent correctement avec la population, dénonceraient donc les tentatives du président Kabila de se maintenir au pouvoir et ont commencé à se battre en espérant que d’autres forces rejoindront leur combat.

Opérant dans les régions du Sud Kivu et du Maniéma où se trouvent de nombreux gisements aurifères, les Mai Mai Yakutumba auraient aussi recruté des combattants parmi les populations locales qui s’estiment dépossédées de leur patrimoine par les grandes sociétés minières. Est particulièrement visée la société canadienne Banro, qui opère sur le site de Nyamoya et a suscité le mécontentement : non seulement les paysans ont été chassés pour faire place à la « concession Banro » et les creuseurs artisanaux ont été éjectés des sites mais les rejets de déchets miniers contenant du mercure ont pollué les nappes phréatiques et les sources de la région, entraînant la mort du bétail et contaminant les humains. La société Banro, dont les convois ont été attaqués et qui a subi des prises d’otages a d’ailleurs fait savoir qu’elle cessait, pour le moment au moins, ses activités dans la région.

Recrutant essentiellement parmi le groupe ethnique des Bembe, les Mai Mai Yakutumba entretiennent aussi une hostilité ancienne à l’encontre des Banyamulenge, ces pasteurs tutsis vivant dans les hauts plateaux surplombant Uvira. Or parmi les commandants militaires des FARDC déployés dans la région se trouvent un grand nombre de Banyamulenge, réputés pour leur fidélité au président Kabila. L’hostilité des Bembe est partagée dans la région d’Uvira par d’autres groupes ethniques, les Vira et les Fulero, qui craignent d’être dépossédés de leurs terres dans la plaine de la Ruzizi au profit de grands projets agricoles.

Ce volet « ethnique » de la rébellion ouvre cependant la voie à une autre hypothèse : selon certaines sources, parmi les combattants qui ont attaqué Uvira, surprenant les observateurs par la qualité de leur armement et par leurs qualités tactiques, se trouveraient des ressortissants burundais et plus particulièrement des miliciens Imbonerakure, redoutable force d’appoint du régime du président burundais Pierre Nkurunziza, dont le cas est actuellement examiné par la Commission des droits de l’homme de l’ONU qui vient de publier un rapport accablant.

Si ces miliciens burundais, sous couvert de prêter main forte à une rébellion congolaise, pouvaient se déployer le long de la rive d lac Tanganyika et dans la ville d’Uvira, ils sécuriseraient la frontière du Burundi lui-même, où le président Nkurunziza redoute toujours des attaques armées qui seraient menées depuis le territoire congolais. En déployant lui-même ses fidèles de l’autre côté de la frontière, le président Nkurunziza se constituerait ainsi une « zone tampon » et réussirait à régionaliser le conflit.

Cependant, les porte-parole de la nouvelle rébellion ont déjà catégoriquement démenti la présence de combattants étrangers dans leurs rangs. A première vue du reste, cette hypothèse cadre mal avec le fait que les présidents du Burundi et de la RDC, qui sont tous les deux en dehors du cadre légal de leur deuxième mandat, entretiennent de bonnes relations et collaborent sur le plan sécuritaire : comment Nkurunziza pourrait-il soutenir un mouvement armé qui s’en prend à son dernier allié dans la région ?

Les jours à venir révéleront sans doute le véritable visage de la nouvelle rébellion qui assiège Uvira: la dégradation de la situation au Sud Kivu due à une attaque armée peut certes traduire la révolte de populations locales et l’aspiration généralisée à un changement de leadership politique, mais le mouvement militaire elle peut aussi être une manœuvre servant de prétexte à ce que d’aucuns redoutent depuis longtemps, la proclamation de l’état d’urgence qui, pour une durée non déterminée, rendra impossible la tenue des élections..

 

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