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Dan Gertler et Joseph Kabila

DES MILLIARDS PERDUS: Enquête financière sur les transactions de Dan Gertler dans le secteur extractif

LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO POURRAIT PERDRE 3,71 MILLIARDS DE DOLLARS DANS LE CADRE D'ACCORDS MINIERS CON­CLUS AVEC L'INTERMÉDIAIRE DAN GERTLER

La République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à des pertes pouvant atteindre au minimum 3,71 milliards de dollars dans le cadre d'accords miniers et pétroliers suspects conclus avec l'homme d'affaires Dan Gertler, selon les derniers calculs de la coalition de la société civile Le Congo n'est pas à vendre (CNPAV). À ce jour, la RDC a déjà essuyé $1,95 milliards de per­tes. En 2017, le département du Trésor américain a sanctionné Gertler pour cause d'« accords opaques et corrompus », alors que plusieurs transactions font actuellement l’objet de plusieurs enquêtes internationales pour corruption. Si le pays ne prend aucune mesure immédiate pour réexaminer ces contrats, la RDC risque de perdre 1,76 milliard de dollars supplémentaires en pa­iements de royalties à des sociétés détenues par Gertler. Le président Félix Tshisekedi n’est pour l'heure pas parvenu à juguler cette hémorragie financière. La coalition exhorte les autorités con­golaises à briser leur silence à ce sujet et à prendre des mesures urgentes afin que les retombées des richesses minières du pays profitent au Trésor congolais et à la population.

Représentant 55 % des revenus totaux du gouvernement en 2017, 99 % des exportations, et un quart des emplois nationaux, le secteur minier est absolument décisif pour l'économie congo­laise'. Les dernières révélations du Congo n'est pas à vendre démontrent que l'État congolais pourrait être privé d’un total de 3,71 milliards de dollars. Ce montant dépasse les revenus miniers du pays pour les années 2017 et 2018 cumulées2.

Gertler bénéficie d'une position privilégiée au Congo depuis que son ami Joseph Kabila est de­venu président en 2001. Kabila a gouverné pendant près de 20 ans avant de se retirer du pouvoir en janvier 2019 à la suite d'élections tardives et contestées. Alors que le Congo reste cantonné aux derniers rangs de l'Indice de développement humain de l’ONU au cours de sa présidence, les affaires de Gertler, intermédiaire sur les plus gros contrats miniers du pays, sont florissantes, tandis que Kabila et sa famille se constituent un vaste empire commercial3.

Avec $1,95 milliards, le Congo aurait pu construire 10 551 complexes scolaires

« Une corruption publique de grande ampleur »

Les allégations de corruption poursuivent Gertler depuis des années. Selon le département du Trésor américain, il aurait secrètement acquis des permis miniers ou pétroliers à prix cassé au­près du gouvernement congolais ou d’entreprises minières d'État, avant de les revendre à des partenaires internationaux, voire même au gouvernement, en réalisant d’énormes bénéfices4.!! a également obtenu le droit pour percevoir des royalties - généralement versées à l'État et à ses entreprises - dans des circonstances douteuses5.

Les contrats les plus juteux de Gertler impliquent deux géants du secteur minier : Glencore et Eurasian Natural Resources Corporation (renommée « Eurasian Resources Group » ou ERG). Les forces de l'ordre britanniques, américaines et suisses enquêtent sur plusieurs de ces trans­actions, tandis que Gertler a été frappé par des sanctions américaines pour corruption présumée en 2017. De telles sanctions entravent sa libre utilisation des gains tirés des contrats contestés en RDC.

Gertler a toujours formellement nié les allégations de corruption à son encontre, et mis l’ac­cent sur les investissements colossaux qu’il a fait venir en RDC. De leur côté, Glencore et ERG affirment n’avoir été impliqués dans aucune affaire de corruption ou autre acte répréhensible. Pendant les derniers jours de l’administration Trump en janvier 2021, les autorités américaines ont accordé une dérogation secrète ayant pour effet de suspendre les sanctions à l'encontre de Gertler. Suite aux demandes de CNPAV et d’autres groupes de la société civile de rétablir les san­ctions, l’administration Biden a révoqué cette licence spéciale quelques semaines après sa prise de fonctions, considérant que Gertler s’est bel et bien adonné à des pratiques de « corruption publique de grande ampleur »®.

 

RESUME DES PERTES DE REVENUS LIEES AUX CONTRATS DE GERTLER

 

Un manque à gagner de 1,95 milliard de dollars pour la RDC en 20 ans de transactions douteuses

Le Congo n'est pas à vendre appelle le président Félix Tshisekedi à s'exprimer sur ce sujet et à ouvrir une enquête sur les accords passés par Gertler au cours des vingt dernières années. Les premières inquiétudes sur les contrats passés avec l'homme d'affaires ont été soulevées par le Groupe d'experts des Nations Unies sur l'exploitation illégale des ressources naturelles au début des années 20007. En 2013, la fondation de Kofi Annan, l’Africa Progress Panel (APP), publie un rapport-phare mettant en avant les montants astronomiques dont a été privée la RDC en faisant affaires avec les sociétés offshore de Gertler8. Le rapport conclut que les contrats de Gertler portant sur cinq concessions de cuivre et de cobalt très prisées ont privé la RDC de 1,36 milliard de dollars.

En 2013, Gertler reproche à l’Africa Progress Panel des « erreurs basiques » dans ses calculs9. « La RDC n'a pas perdu d'argent, elle a au contraire bénéficié de ces différentes transactions en raison de termes favorables de ces nouvelles joint-ventures », selon un communiqué de son entreprise Fleurette. À son tour, la Gécamines publie un rapport en 2018 dans lequel elle affirme que l'Africa Progress Panel s'appuie sur des évaluations largement surestimées40.

Huit ans plus tard. Le Congo n'est pas à vendre se penche à son tour sur les chiffres de l'Africa Progress Panel en les actualisant avec des données plus récentes ; d'autres transactions dans lesquelles Gertler joue un rôle-clé sont également examinées.

Sur base de ces nouvelles informations, CNPAV estime que jusqu’à présent, l’Etat congolais a perdu un minimum de 1 9467 milliard de dollars en raison des contrats passés avec Dan Gertler.

Dans un pays classé 175*"* sur 189 sur l'Indice de développement humain de l'ONU", ces pertes ont un effet dévastateur sur la population. Avec cet argent, le gouvernement congolais aurait pu :

  • Construire 10 551 écoles12, soit l'équivalent d'environ un tiers de toutes les écoles primaires et secondaires en RDC en 200913, or
  • Financer l’accès aux soins de santé primaires dans des centres de santé pour 21,32 millions de citoyens14 pendant 10 ans, ou
  • Goudronner 8.768,85 km de routes,15 soit plus du double des routes actuellement goudron­nées dans le pays18. Plus spécifiquement, cette somme aurait pu financer le goudronnage de nouvelles routes entre Kinshasa à l’Ouest et Lubumbashi au Sud ; entre Lubumbashi au Sud et Goma à l'Est ; entre Goma à l'Est et Kisangani au Nord ; entre Kisangani au Nord et Kinshasa à l’Ouest17.

Pour obtenir les pertes financières de la RDC, nous avons calculé la différence entre les revenus tirés par Gertler de ces divers actifs (prix de revente des actifs, perception de royalties ou autres paiements contractuels) et le prix auquel il les a achetés.

On notera que les contrats miniers et pétroliers de Gertler sont généralement très complexes, sophistiqués et opaques. Parvenir à déterminer le montant déboursé (s'il en est) pour ces actifs et les bénéfices engrangés par Gertler n'est pas chose aisée — et cette tâche est d'autant plus complexe qu'elle exige de tenir compte des fluctuations des prix des métaux. Lorsque plusieurs chiffres contradictoires étaient disponibles, nous avons utilisé l’option la plus prudente, c'est-à- dire celle qui tendrait à sous-estimer les pertes de l'État.

Les principaux bénéfices futurs pour Gertler proviendront des projets de Glencore (1,46 milliard de dollars)

Dans plusieurs cas, nous avons été en mesure de remplacer les estimations commerciales uti­lisées par l’Africa Progress Panel en 2013 par les sommes réellement empochées par Gertler à la revente de ses principaux actifs en 2017. Par exemple, l’Africa Progress Panel avait estimé la participation de Gertler dans Mutanda Mining et Kansuki à 766,6 millions de dollars alors qu'en réalité, il a revendu ces parts pour au moins 922 millions de dollars. LAfrica Progress Panel aurait donc dans certains cas sous-estimé les bénéfices de Gertler, et non pas l'inverse.

En réponse au rapport de l’APP en 2013, Gertler avait déclaré que les calculs de ses bénéfices n’avaient pas tenu compte des investissements réalisés. Il explique par exemple avoir investi des centaines de millions de dollars dans Mutanda'8. Cependant, la réalité est un peu plus complexe, car selon les clauses du contrat de Mutanda, Gertler n'a pas eu à mobiliser de financements pour le projet (statut de carried partner). Il était « porté » par l'opérateur de la mine, Glencore, à qui il rembourse ses emprunts grâce aux futures recettes de la mine'9. Gertler a hérité de ce privilège directement de la Gécamines en 2011, lorsqu'il a racheté 20 % de la participation de l'entreprise minière d'État20. Il bénéficie de ce même statut sur au moins un autre projet, Metalkol, dans le­quel il détient des parts entre 2010 et 201221.

Le 2 avril 2021, CNPAV a contacté Dan Gertler afin d’obtenir des commentaires, clarifications et/ ou des informations supplémentaires de sa part sur les principales conclusions du présent rap­port. Gertler n'a pas répondu à ces demandes.

 

Un déficit supplémentaire estimé à 1,76 milliard de dollars ces 20 pro­chaines années

Le manque à gagner ne s'arrête pas là. L'homme d'affaires continuera à percevoir des royalties pendant de nombreuses années grâce à des accords opaques contractés entre 2011 et 2017. Les royalties représentent un pourcentage de la production d'un projet minier, et sont généralement versées à l'État ou aux entreprises publiques. Pourtant, dans au moins trois de ses plus gros projets miniers, la Gécamines a transféré ses droits à percevoir des royalties à des sociétés liées à Gertler. C'est notamment le cas dans deux projets de Glencore, KCC et Mutanda, ainsi qu'un projet d’ERG, Metalkol.

Le 22 avril 2021, lors d’échanges écrits entre la coalition Le Congo n'est pas à vendre et ERG, ERG a déclaré que, dans le cas des royalties de Metalkol, la Gécamines a décidé de façon indépend­ante de les céder à une partie tierce, ce à quoi ERG « n’a jamais consenti »“. Glencore a pour sa part refusé de commenter et la Gécamines n'a pas répondu à notre lettre demandant clarification sur le sujet23.

Cumulés, ces trois projets qui versent des royalties à Gertler pourraient produire plus de 70 000 tonnes de cobalt chaque année à pleine capacité, soit l'équivalent de la moitié de la production mondiale, selon Bloomberg News24.

Faute d'un réexamen et d’une annulation de ces droits, nous estimons que Gertler encais­sera au minimum 1,76 milliard de dollars de royalties entre 2021 et 2039. Cela représente en moyenne plus de 254 000 dollars par jour sur les 19 prochaines années. La « valeur actuelle nette » de ces futurs flux monétaires correspond à 711 millions de dollars25. Nos calculs sont détaillés dans deux tableaux en annexe de ce document. Le Tableau 1 présente nos calculs pour l'estimation des pertes minimales de l’État congolais jusqu’à ce jour. Le Tableau 2 détaille nos estimations des futures pertes minimales liées aux royalties tirées de KCC, Mutanda et Metalkol.

L’estimation de ces royalties repose sur les prévisions de production des projets KCC et Mutan­da, publiées dans les rapports de Glencore, ainsi que sur des données produites par ERG et l'ad­ministration minière congolaise dans le cas de Metalkol26. Les futurs prix du cuivre et du cobalt ont été calculés avec prudence, sur la base de la moyenne du prix le plus bas de chaque année entre 2011 et 2020. Compte tenu de données manquantes, nous avons exclu certains actifs de nos calculs (par exemple les permis pétroliers dans l’Est de la RDC rachetés par Gertler en 2010, alors qu'ils étaient en principe déjà octroyés à d'autres sociétés27.

Le Congo n'est pas à vendre demande au President Félix Tshisekedi de rompre le silence et de lancer une enquête sur les accords de Dan Gertler

Les principaux bénéfices à venir pour Gertler devraient provenir des royalties tirées des projets de Glencore (1,46 milliard de dollars). Ce montant paraît exorbitant, mais il ne représente même pas la moitié des trois milliards de dollars de dommages et intérêts réclamés par les représent­ants de Gertler lors d'un procès en 2018 à l'encontre de Glencore. Ce dernier avait temporaire­ment suspendu le paiement des royalties à la suite des sanctions américaines contre Gertler28.

Les flux de royalties collectées par Gertler sont vertigineux en comparaison avec l'ensemble des revenus miniers de la RDC. Selon nos estimations, l'homme d'affaires pouvait prétendre à un total de 238 millions de dollars entre 2018 et 2020, soit une moyenne de 217 000 dollars par jour. Cet argent aurait permis la construction d’une nouvelle école tous les jours. À titre de com­paraison, le revenu moyen par habitant dans les communautés dépendant de l'activité minière dans les régions congolaises riches en cuivre et en cobalt est de 35 dollars par mois, d'après une étude de l'Université de Berkeley29. Cette étude souligne que « les deux tiers des ménages déclarent s'inquiéter de manquer de nourriture ».

La coalition Le Congo n'est pas à vendre exhorte le gouvernement congolais à ouvrir une en­quête sur les transactions de Gertler, en se penchant en priorité sur les contrats qui continuent de générer des revenus.

 

 

 

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